Midem : le value gap décrypté par les avocats d’IAEL

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Le Midem a comme prévu été rythmé par les échanges sur le transfert de valeur. Le thème complexe et au centre des appréhensions des acteurs européens de la musique a notamment été abordé sous un angle de vue purement juridique par les juristes de l’International Association of Entertainment Lawyers (IAEL). De quoi mettre en exergue les multiples ambigüités du cadre juridique réglementant les plateformes, constituant l’essence même du value gap.

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Les juristes ne sont pas particulièrement optimistes quant au rééquilibrage du partage de la valeur entre plateformes et ayants-droit. Et ce malgré les multiples signes qui illustrent la croissance du marché international de la musique. C’est le cas entre autres de Kenneth Abdo, Avocat chez Fox Rothschild, membre de l’IAEL, qui conseille depuis 30 ans des figures de la musique dont certains primés aux Grammy awards : « Je ne suis pas très optimiste sur l’avenir de l’industrie dans les années à venir, en particulier pour les artistes émergents. La musique a été la première à être confrontée à la transition numérique. Certains éléments sont positifs mais il y a beaucoup de disparités ». Passant en revue les indicateurs de la croissance du marché, il a rappelé les chiffres afférents à la progression du streaming en 2016 et la bascule numérique qui s’est opérée. Mais surtout, Kenneth Abdo s’est appuyé sur les projections de Goldman Sachs qui préfigurent la pérennité de la croissance du marché de la musique. La banque d’investissement prévoit que les revenus du streaming soient multipliés par 10 entre 2015 et 2030, pour atteindre les 14,1 milliards de dollars, et que les abonnés payants soient multipliés par 2 entre 2016 et 2020 pour s’élever à 221 millions. Pour autant, d’après Kenneth Abdo, « la croissance des revenus du marché est fragilisée notamment par la course à la baisse des prix des abonnements et par le fait que le streaming financé par la publicité reste dominant. Il doit y avoir des moyens d’équilibrer la stratégie de la musique à l’échelle internationale ». Et c’est précisément le manque de solutions qui pour l’heure alimente le scepticisme des juristes concernant le rééquilibrage du partage de la valeur.

Ambigüité

La position des ayants-droit et des créateurs, selon laquelle la croissance du marché ne profite que de manière limitée à toute la chaîne en raison du transfert de valeur, est accréditée par les juristes. Les avocats réunis au sein de l’IAEL ont naturellement dédié un ensemble de conférences à la large thématique du « value gap » durant le Midem. Ils considèrent que les textes de loi tiennent une responsabilité de premier plan dans le transfert de valeur qui s’est opéré en faveur des plateformes et intermédiaires et au détriment des ayants-droit et créateurs. Evoquant le préambule de la proposition de la directive sur le droit d’auteur de la Commission Européenne – qui pour rappel stipule que « La mise à disposition de contenus protégés par le droit d’auteur sans une concertation avec les ayants-droit par les services en ligne (…) affectent leur possibilité à déterminer si, et si oui dans quelle conditions, leurs œuvres doivent être exploitées, aussi bien que leur possibilité d’obtenir une rémunération adéquate », pour définir le value gap – Massimo Travostino n’a pas manqué de souligner que « pour s’attaquer au value gap et comprendre la position des ayants-droit depuis 20 ans, il faut voir le problème à l’origine. Et il se trouve dans le Digital Millenium Copyright Act et dans la directive E-commerce. Il faut s’intéresser à la position qui a été données aux intermédiaires ». L’Avocat au sein du cabinet italien Studio Legale Pecoraro-Travostino a insisté sur le fait que l’ambigüité de la position des intermédiaires, concernant leur statut et leur modèle économique « basé sur l’exploitation des contenus et non sur la simple mise à disposition », a clairement joué en leur faveur. « Elle a été mal comprise et tardivement comprise par les ayants-droit et cela explique entre autres le transfert de valeur qui s’est opéré ces dernières années ».

Piratage

L’ambigüité qui caractérise les plateformes est commune au transfert de valeur et au piratage. Les plateformes s’en sont nourries pour se dédouaner autant que faire se peut de toute responsabilité quant aux contenus mis en ligne par les utilisateurs. « Etre un intermédiaire nécessite uniquement d’assurer un service purement technique, et de n’avoir aucun contrôle actif et aucune connaissance des contenus mis en ligne » a rappelé l’Avocat Massimo Travostino. L’arrivée du filtre Content ID de YouTube en 2008 est venue apporter un début de solution au piratage, mais pas seulement, d’après Massimo Travostino, qui estime que « Les intermédiaires ont mis en place des filtres pour contrer le piratage mais surtout pour leur permettre de mieux exploiter les contenus, en ayant dès lors la capacité de reconnaître les contenus mis en ligne ». En la matière, la proposition de directive du droit d’auteur de la Commission Européenne préconise dans son article 13 une étroite coopération entre ayants-droit et plateformes pour garantir que l’exploitation des œuvres soit conforme aux accords conclus et pour prévenir toute mise à disposition des œuvres à l’exception de celle effectuée par les ayants-droit. Toutefois, les avocats de l’IAEL sont là-encore sceptiques. « Une telle coopération est difficile à mettre en œuvre quand les intérêts sont contradictoires. C’est facile à dire en théorie mais difficile à mettre en place » jugeait Massimo Travostino. Il faut dire que le contrôle des filtres détectant les contenus illégaux par les plateformes va de pair avec le caractère plus ou moins actif de leur rôle. Or, vraisemblablement, « les plateformes ne souhaitent pas exercer un rôle actif » nuance l’Avocat du cabinet Studio Legale Pecoraro-Travostino. D’autant que d’autres problèmes, comme les coûts engendrés par de telles opérations, pourraient s’ajouter aux obstacles d’une coopération entre plateformes et ayants-droit. A moins qu’il s’agisse avant tout de volonté de la plateforme, une volonté variable et conditionnée à leurs intérêts financiers.

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