Streaming : la détection des fraudes, levier essentiel pour la probité du marché et l’authenticité des succès 

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La fraude dans le streaming émet de plus en plus d’interférences dans le secteur de la musique.
Un sujet loin d’être nouveau, et qui a mis du temps à émerger. Les artistes dénoncent depuis plusieurs années plus ou moins directement leurs homologues aux vues, et maintenant aux streams, qui ne semblent pas authentiques. L’étude du Centre national de la musique sur « la manipulation des écoutes en ligne » livre des données importantes. Surtout, elle met en exergue une réalité indéniable, en contraction avec de nombreuses affirmations et idées reçues. L’impact de la fraude dans le streaming sur le marché de la musique enregistrée est à relativiser, tant qu’il n’est pas démontré par de nouvelles données, informations, révélations.
Et dans le même temps, l’amélioration de la détection des fraudes est essentielle pour garantir la probité du marché et des divers acteurs : artistes, producteurs indépendants, labels, plateformes. Et pour confirmer l’authenticité des ventes et des succès.


La fraude dans le streaming telle que détectée ne fausse pas les charts du marché de la musique enregistrée en France. C’est la première conclusion à tirer d’une analyse objective et neutre de l’étude du Centre national de la musique.
Les plateformes (Spotify, Deezer, Qobuz) ont affirmé « disposer des ressources techniques nécessaires pour détecter la fraude ». Leurs moyens de détection consistent en l’identification des comportements irréguliers, notamment en termes de temps et de fréquence d’écoute, et en l’analyse des algorithmes et des données relatives aux abonnés et aux artistes. Elles ont aussi précisé les procédures lors de suspicion ou de détection de fraudes : contact des ayants droit, demande d’explications, sanctions allant du gel des redevances au retrait des titres des playlists voire de la plateforme.
Et pourtant, d’après les données transmises au CNM et analysées par l’établissement, l’ampleur de la fraude tel que détecté par les plateformes est particulièrement faible.

Entre 1 et 3% de streams frauduleux sur les volumes d’écoute

Le nombre de streams frauduleux détectés se chiffre entre 1 et 3 milliards sur l’année 2021 d’après les conclusions de l’étude du Centre national de la musique. Un chiffre globalement élevé sorti de son contexte, qui néanmoins ne représente qu’entre 1 et 3% des volumes d’écoute en fonction des plateformes.
D’autres données livreraient des informations plus efficientes pour apprécier l’ampleur et l’impact de la fraude sur le marché de la musique enregistrée en France.
Notamment, la moyenne des streams frauduleux détectés, la part de faux streams par rapport aux écoutes « légales » dans le cas d’une fraude effective, les volumes les plus importants détectés sur des titres, des albums, des artistes, ou encore le nombre de titres et d’artistes concernés. Autant de données qui n’ont pas été communiquées. 

Moins d’1% de faux streams détectés dans les charts Spotify et Deezer

L’autre chiffre confirmant le caractère marginal de la fraude dans le streaming, à tout le moins de celle détectée, est le fait que plus de 80% des « faux streams » ne concernent pas les 10 000 titres les plus écoutés sur Spotify et sur Deezer. 

D’après les données communiquées par Spotify, les faux streams représentent 1,1% des volumes de streams enregistrés en 2021. Sur cette part de 1%, les titres classés dans le top 10 000 pour lesquels des fraudes ont été détectées représentent 14,6%.
La part de streams frauduleux dans le top 10 et le top 100 de Spotify France est comprise entre 0,22% et 0,25%.
Il n’y aurait donc quasiment pas eu pas de fraude détectée parmi les titres les plus streamés sur Spotify en France en 2021.
Même déduction pour Deezer, malgré des chiffres plus élevés mais des taux tout aussi bas. Les streams frauduleux détectés sur la plateforme française correspondent à 2,6% des volumes de streams sur l’année 2021. Et sur ce taux, 82% des faux streams concernent des titres n’étant pas dans les 10 000 les plus écoutés. Sur Deezer France, la part des streams frauduleux est respectivement de 0,65% pour le top 10 et de 0,85% pour le top 100.
L’étude du CNM précise que cette part « augmente à mesure que l’on descend dans le top », mais elle reste inférieure à 1% dans les tops 1 000, 5 000, 10 000.

Selon les données communiquées par Universal, Sony, Warner, Believe (hors Tunecore) et Wagram, la part de streams identifiés comme frauduleux ou anormaux est d’1,5% sur Deezer.
L’étude précise que 55%, soit la majorité, des streams frauduleux détectés sur Deezer concerne des catalogues n’étant pas ceux du panel précité.
Les catalogues d’Universal, Sony, Warner, Believe et Wagram ont réalisé 75% des volumes de streams en 2021 sur Deezer, et 90% des volumes de streams sur Spotify. 

Investissements et initiatives des plateformes

Abstraction faite des données, l’étude du Centre national de la musique comporte un volet « qualitatif » basé sur des entretiens avec des cabinets d’audit, avocats, syndicats, artistes, entre autres.
Un certain consensus se dégagerait entre les acteurs sollicités concernant « l’ampleur de la non-détection des fraudes », notamment en raison de l’amélioration de diverses méthodes employées. 

Pour endiguer l’augmentation de la fraude dans le streaming, plusieurs plateformes ont confirmé avoir renforcé leurs investissements, et engagé diverses opérations et initiatives.
Deezer a notamment déployé un nouvel algorithme début 2022 afin de mieux détecter les quantités de fraude.
Spotify poursuit ses investissements sur des techniques de détection pour « prévenir et limiter l’impact de la fraude », et complète son approche en communiquant auprès des artistes et des labels. 
Apple Music, qui n’a pas communiqué ses données pour l’étude (comme YouTube et Amazon), investit sur sa technologie pour identifier et retirer les volumes de streams frauduleux des reporting et des charts. 

Garantir l’authenticité des écoutes, succès, et performances

Le marché français de la musique enregistrée est dans une période décisive pour maintenir et poursuivre sa dynamique de croissance. Les artistes sont toujours plus dépendants des plateformes, pour le développement de leur carrière comme de leurs sources de revenus. 

Les habitudes des consommateurs sont impactées et influencées par l’innovation technologique, la concurrence des plateformes de tous secteurs, la guerre de l’attention sur les plateformes, réseaux sociaux et médias.
Le développement de la consommation de la musique est indissociable de l’augmentation des abonnés sur le streaming, notamment sur le premium. 

L’attractivité des plateformes, à savoir leur capacité à déclencher les souscriptions d’abonnement et à fidéliser les abonnés, est liée à la qualité de l’expérience des utilisateurs, de leurs offres, leurs interfaces, leurs playlists éditorialisées. 
A présent, la garantie de l’authenticité des écoutes, des succès, des performances des répertoires, surtout pour les artistes mis en avant et les artistes les plus streamés, s’avère indispensable pour développer l’attractivité et la compétitivité des plateformes de streaming.
Depuis plusieurs années, les artistes les plus populaires et les plus écoutés, notamment dans le rap, sont régulièrement accusés et suspectés par une partie du public d’acheter des streams, de gonfler leurs ventes.
Un climat de suspicion généralisé, qui contribue à dévaluer les certifications pourtant gages de popularité et de succès des albums, des titres, des artistes. 

L’efficacité et l’efficience de la détection des fraudes par les plateformes sont des leviers essentiels pour certifier la probité du marché et de l’industrie de la musique, dont la majorité du chiffre d’affaires est réalisée sur le streaming. 
À défaut, et avec toujours plus d’affirmations et allégations relatives au caractère généralisé et répandu des mauvaises pratiques, le sujet de la fraude dans le streaming continuera de nuire à tous les artistes, à tous les labels, et donc à l’ensemble du secteur. 

Jason Moreau

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