Boris Vedel – Printemps de Bourges : “Le festival participe au développement du secteur et contribue à celui du territoire”
9
minutes
Le Printemps de Bourges Crédit Mutuel a depuis longtemps la réputation d’être l’archétype du festival made in France. Particulièrement populaire auprès des professionnels français en raison de son ancienneté, son timing et sa localité, le Printemps est un lieu de visibilité pour les artistes, et de rencontres entre pros, pour des deals comme pour des échanges autour des enjeux et métiers de la musique live. Premier festival de l’année, l’évènement est aussi un des premiers faisant face aux évolutions impactant le secteur, et à devoir s’adapter pour préserver son modèle économique, son positionnement, son attractivité. Interview avec Boris Vedel, directeur général du Printemps de Bourges.
MUSICBIZ: Quelle est la chronologie de l’organisation du festival ?
Boris Vedel: L’organisation du Printemps de Bourges Crédit Mutuel commence dès le mois de mai avec un bilan durant l’été. On voit ce qui a plus ou moins bien fonctionné, et on décide de ce que l’on souhaite améliorer.
En parallèle démarre la programmation pour les têtes d’affiche, les artistes les plus populaires, avec des négociations pendant l’été, et bouclées début septembre. Le reste de la programmation est élaboré jusque fin décembre. Mais pour les créations, on s’y attèle deux ans à l’avance. On en a de plus en plus, ce sont des projets ambitieux, et les disponibilités des artistes sont à gérer bien en amont.
A partir de septembre, les équipes de la communication et des partenariats avancent sur les stratégies et les échanges. Tout se passe à l’automne pour la définition du projet, les dossiers de subventions, les partenariats… Nous avons un projet de festival avancé en octobre, en décembre un financement bouclé, ainsi que des discussions engagées avec les pouvoirs publics pour l’organisation et la sécurité.
Pour les plus gros concerts, la scène et la technique sont sécurisées avant fin décembre. Les cadres travaillent sur le festival à l’automne et recrutent à partir de janvier. Nous pouvons alors mettre en œuvre le festival au début de l’année.
“On n’accueille plus les publics comme il y a 20 ans. L’expérience festivalière a toujours plus d’importance.”
Qu’est ce qui a particulièrement changé de votre point de vue de directeur de festival ?
Le marché du spectacle vivant se métamorphose. La nature des spectacles évolue, avec l’expérience festivalière, l’inflation des cachets artistiques, les coûts de production des concerts, le cadre réglementaire… On n’accueille plus les publics comme il y a 20 ans. L’expérience festivalière a toujours plus d’importance. Cela implique des coûts. Les spectateurs ont plus d’exigences sur la restauration, l’accueil, le confort…
Il y a aussi une inflation des cachets d’artistes, principalement sur les têtes d’affiche, notamment parce que leurs spectacles sont plus ambitieux et coûtent également plus chers. Pour qu’un concert soit “instagramable”, il faut beaucoup de moyens. Maintenant les artistes montent sur scène avec des écrans, des effets spéciaux, des musiciens en plus etc.
Le Printemps de Bourges contribue au développement du territoire, et participe au développement du secteur notamment avec l’axe professionnel. C’est ce qui me motive et c’est très stimulant. Voir les gens heureux, c’est gratifiant. Quand je suis arrivé, c’était plutôt l’artistique qui me motivait.
“Il nous faut dépasser 85% de taux de remplissage pour atteindre la rentabilité d’un spectacle”
Comment évolue votre modèle économique dans un contexte de crises successives sur le plan économique et social, et d’inflation engendrant des surcoûts ?
Notre budget est autour de 7,4 millions d’euros cette année, et a augmenté de 500 000 euros. Le Printemps de Bourges Crédit Mutuel reste un festival avec un équilibre fragile, et il est de plus en plus financé avec les partenariats privés, qui représentent environ 40% du budget.
L’an dernier déjà, nous avions 10 à 15% de dépenses supplémentaires par rapport à l’édition précédente, soit plus que l’inflation. Il y a eu une inflation généralisée et un effet boule de neige, subis par tous les festivals. L’inflation s’est répercutée sur les coûts de transports et des matières premières.
Il y a aussi une logique inflationniste qui s’impose, et que l’on expérimente en tant qu’employeur avec des augmentations des coûts et des salaires. Les coûts de montage et de démontage sont plus importants. Sur les cinq couches de coûts pour une mission, on se prend donc une inflation cumulée.
Nos marges, qui sont déjà faibles, baissent encore. Nous prenons beaucoup de risques. Un certain nombre de nos spectacles sont structurellement déficitaires. C’est pourquoi nous avons besoin des aides, parce que c’est un projet culturel, et non dans une logique purement commerciale. En l’état actuel, il nous faut dépasser les 85% de taux de remplissage pour atteindre la rentabilité d’un spectacle. Ça dépend bien sûr des salles, pour certaines c’est plus…
“La baisse du pouvoir d’achat et les grèves nous impactent“
Les ventes de billets ont-elle été impactées par les changements des habitudes de consommation et par la conjoncture sociale ?
Depuis deux ans, on a des courbes en “u” avec des ventes qui partent très fort, qui ralentissent ensuite et qui remontent à la fin. L’ouverture de la billetterie démarre quand même plus fort qu’avant. En un mois on avait vendu presque 50% des billets.
Les publics jeunes ont répondu présents très tôt, avec des concerts rapidement complets. Pour les artistes chanson, leurs publics ce sont les familiaux. Les publics actifs sont les plus volatiles. Beaucoup de spectateurs font un à deux concerts par an, et font partie de ceux qui attendent que de grands artistes viennent se produire dans leur région.
La baisse du pouvoir d’achat, comme les grèves dans les secteurs clés des transports et du carburant, sont des sujets qui nous impactent parce que nos activités sont dans le champ de l’évènementiel et donc soumises aux aléas d’une conjoncture.
L’an dernier, un mois avant le festival il y a eu un ralentissement des ventes et un attentisme, alors qu’habituellement nous sommes en pleine cadence. Les spectateurs ne s’étaient pas rués sur les billets, la période n’y était pas propice.
Le développement de la billetterie est-il un objectif ?
Le nombre d’entrées payantes fluctue à la marge avec entre 70 et 80 000 entrées payantes selon les éditions. Les ventes sont stables. Je ne veux pas que l’on juge le festival à l’aune d’un chiffre.
Cette année, nous étions parti sur un format à 80 000 entrées payantes, avec quatre concerts en plus au Palais d’Auron. L’an dernier, nous avions d’office 8 000 spectateurs de moins, suite à notre choix de fermer deux salles de 4 000 spectateurs.
Nous n’avons pas pour objectif de doubler en taille… Le festival accueille 200 000 festivaliers, a lieu dans une ville de 65 000 habitants et une agglomération de 100 000 personnes, on ne peut pas pousser les murs.
La fréquentation des festivals comprend environ 80% de spectateurs originaires de leurs régions respectives, c’est aussi le cas du Printemps de Bourges.
Quelles sont les initiatives récentes pour améliorer l’expérience des professionnels et renforcer l’attractivité du Printemps auprès de cette cible ?
Nous avons beaucoup travaillé sur l’accueil des professionnels, avec notamment l’ouverture d’un nouveau lieu, “Le triangle”, pour des showcases et des conférences devant une centaine de personnes.
L’espace principal des professionnels a été repensé, et évolue en sorte de mini-convention avec des corners permanents tenus par nos partenaires.
Notre objectif est d’améliorer constamment nos capacités et prestations pour accueillir les professionnels, leur permettre de se rencontrer, et de travailler dans des conditions agréables.
“Monter en puissance jusqu’en 2028 avec une édition plus ambitieuse et plus large”
En quoi le festival est éco-responsable ?
Le management responsable des évènements est un savoir-faire que l’on maîtrise. Nous avons acquis la certification ISO 20121 activité évènementielle en juillet 2020 (norme reconnaissant l’implication en matière de développement durable).
Avec nos partenaires, tant les industriels que les acteurs publics, nous travaillons par exemple très bien sur la collecte, le tri et la revalorisation des déchets. Notre priorité est de bien travailler avec les outils déjà à notre disposition. Le festival étant implanté dans la ville, nous travaillons avec notre agglomération équipée d’outils pour le cycle de vie des déchets ou encore sur les produits biodégradables.
Nous avons aussi progressé sur l’alimentaire avec une charte réglementaire des menus, en nombre restreint, avec des produits variés, en circuits courts.
Comment se profilent les prochaines éditions, entre la 50è en 2026, et 2028 avec Bourges qui sera la Capitale européenne de la Culture ?
Nous avons bien sûr l’édition 2026 en ligne de mire. Les 50 ans du Printemps sont importants, il y aura évidemment quelque chose, essentiellement sous forme artistique.
A partir de l’année prochaine, le Printemps doit servir au nouveau projet pour monter en puissance jusqu’à 2028. Il nous faut réfléchir en deux temps, que 2026 ne fragilise pas et n’essouffle pas 2028. Nous allons faire évoluer notre stratégie, cela va forcément puiser sur nos moyens.
On peut très bien imaginer des formats plus raisonnables lors des prochaines éditions, parce qu’on aura mis moins d’argent sur les cachets, avec des objectifs de public différents.
2028 sera une édition plus ambitieuse et plus large.