Christian Hugonnet : « Le plafond acoustique doit passer sous la barre des 100 décibels »

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Christian Hugonnet, Président de La Semaine du Son

La 14ème édition de « La Semaine du Son » s’est terminée il y a quelques jours. Soutenu par le CNC, le CSA, la Sacem, ou encore Bruit Parif, l’évènement s’implique dans la gestion des niveaux sonores. Le sujet est attentivement suivi par les acteurs des industries de la Culture. Professionnels du spectacle et de la musique redoutent une baisse du plafond acoustique dans les salles de spectacle et les festivals notamment. Christian Hugonnet, Président de La Semaine du Son, livre ses positions et les orientations souhaitées en matière de niveaux sonores.

CultureBiz : Les enjeux du sonore pour lesquels vous aviez lancé cet évènement il y a 15 ans sont-ils les mêmes aujourd’hui ?

Christian Hugonnet : Oui les enjeux sont à peu près les mêmes qu’il y a plusieurs années. On sensibilise toujours sur les thèmes de l’environnement sonore, l’enregistrement des productions en cinéma et audiovisuel, la santé auditive avec les niveaux sonores dans les discothèques, les rapports entre l’image et le son, la musique… Plusieurs problèmes de fonds persistent. On n’a pas avancé sur l’expression musicale par exemple. Il n’y a pas plus de musiciens et de jeunes qui pratiquent d’un instrument… Il y a toutefois des enjeux que nous avons réussi à concrétiser. Nous avons rédigé et déposé une charte à l’UNESCO qui va devenir une résolution et va être présentée l’an prochain à l’ONU. Nous avons donc réussi à faire rentrer la problématique du sonore dans les préoccupations de l’humanité si je puis dire. C’est une première. Il faut du temps pour amener une prise de conscience mais cela avance, nous commençons à être entendus par quelques parlementaires.

L’étude Ipsos sur « les jeunes et l’environnement sonore » qui avait été présentée en 2015 inquiétait institutions et professionnels. Le constat était que les jeunes connaissent les dangers liés au sonore sans adopter de bons réflexes. Avez-vous de premiers indicateurs quant à l’évolution des tendances et comportements ?

C’est très difficile à dire, il faudrait refaire une étude pour constater des avancées. Il y a un sondage qui a été fait cette année et il n’est pas glorieux. D’après un sondage Ipsos récent, 10% des enfants s’endorment avec un casque… Il faut donc persévérer. On aimerait avoir plus de moyens, d’affichages, de campagnes publicitaires. On est en train de s’organiser pour voir comment faire de la prévention plus efficace et être plus visibles pour la 15ème édition. Mais il est très difficile de considérer qu’il y a des évolutions quant aux comportements des jeunes vis-à-vis des environnements et évènements sonores. A ce propos, on est en contact avec l’OMS qui nous annonce 1,2 milliard de malentendants dans le monde d’ici 10 ans. Il y a donc beaucoup de travail.

Les professionnels de la musique et du spectacle ont entrepris – par le biais de l’association AGI-SON – des discussions et des actions pour une meilleure gestion sonore. Comment percevez-vous ces initiatives?

Ce sont des initiatives que nous voyons d’un bon œil et que nous saluons, c’est bien que nous soyons plusieurs acteurs sur ce terrain.

Quelle est votre position vis-à-vis de la nouvelle réglementation sur la gestion sonore ?

Jusqu’à présent on n’ose pas baisser franchement le plafond sonore de manière assumée, nous sommes à 105 décibels et c’est encore beaucoup. Notre position est que l’on aimerait descendre plus bas. Avec la nouvelle réglementation, le plafond sonore pourrait descendre à 102 décibels mais je pense que l’on pourrait faire mieux. On peut tout à fait abaisser le plafond acoustique sans pour autant perdre le plaisir de l’écoute. Il faut revoir cette notion de compression qui est extrêmement importante car elle abime les oreilles des jeunes. Mais il y a aussi des problèmes de niveaux et il n’y a pas de raison que l’on ne fasse pas mieux en la matière. On doit pouvoir passer sous la barre des 100dB.

La position des professionnels du spectacle et de la musique est que l’abaissement du plafond acoustique serait à termes une menace pour les petites salles. Ils redoutent que le son devienne trop bas et de mauvaise qualité, ce qui conduirait les publics à privilégier les grandes salles…

Je n’y crois absolument pas. On peut tout à fait descendre plus bas. Je vous assure que quand vous entendez un son compressé à 95 décibels en permanence c’est suffisant. On peut donc gagner quelques décibels encore et respecter une dynamique. J’y reviens parce qu’Agi-Son n’en parle pas. Il faut revenir sur une compression intelligente, non globale, instrument par instrument. Je suis également Ingénieur du son et je me dois d’insister sur la dynamique sonore qui est un point essentiel. C’est une chose d’avoir un niveau fort – et ce n’est pas qu’il dépasse les 100 décibels qui pose un problème – mais c’en est une autre qu’il soit suivi d’un niveau faible. On n’a plus ça de nos jours et il faut y revenir, à ces musiques qui respirent et respectent les nuances et les silences. Il y a une dimension sociétale dans la question des niveaux sonores.

Sur la question de la régulation du son en salles de spectacle et salles de cinéma, institutionnels et professionnels s’opposent. Améliorer la qualité sonore ne serait pas le meilleur compromis pour éviter la « censure artistique » tout en limitant les dangers du son ?

Le son crée l’image. Nous allons d’ailleurs lancer un concours dans quelques jours, les candidats seront invités à réaliser un film d’1 minute 30 sur une bande son du compositeur Greco Casadesus. Je suis convaincu que la qualité sonore détermine la qualité d’un film. Et les professionnels du cinéma doivent intégrer cette réalité. J’ai d’ailleurs demandé au Festival de Cannes un prix qui serait remis à la meilleure création sonore parmi les films en compétitive. Il n’est pas normal que l’on ignore le sonore à ce point. Je rencontrerai donc Thierry Frémaux à ce propos dans les prochaines semaines.  

La semaine du son a-t-elle des pistes d’actions pour provoquer des changements de comportements ?

Oui bien sûr, je pense que l’an prochain nous allons travailler sur des spectacles de référence, ce seront des spectacles originaux avec des personnalités. Au-delà de faire de la prévention, je pense qu’il est temps de montrer l’exemple. Nous voulons donc proposer des alternatives pour montrer qu’il est possible d’écouter à des niveaux raisonnables tout en préservant la notion de plaisir.

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