Export : les difficultés administratives et fiscales, un frein à la compétitivité du live made in France à l’international

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L’export est un relais de croissance fiable pour les secteurs de la musique enregistrée et du spectacle depuis quelques années. Au point d’être devenu une priorité pour l’ensemble de la filière. Il s’agit d’ailleurs de l’un des rares enjeux qui fédère tous les acteurs sans exception : producteurs de phonogrammes et producteurs de spectacles, agences de booking, éditeurs, auteurs, artistes-interprètes, ou encore plateformes. Tous ont intérêt à ce que la musique made in France s’exporte au mieux pour conforte la croissance des marchés de la musique enregistrée et du spectacle. Une ambition qui n’est pas sans difficultés. Le caractère hermétique de certains marchés clés de la scène internationale, comme le Royaume-Uni et les Etats-Unis, est une entrave commune aux professionnels du spectacle comme de la musique enregistrée. L’intérêt des publics dans les salles de concerts et les festivals étrangers pour les artistes français et francophones n’a cessé de croître ces dernières années, sous l’impulsion de Stromae, de Christine and the Queens, et plus récemment de Jain ou encore MHD. Mais le secteur du live se heurte à un véritable plafond de verre pour s’exporter comme il se doit, composé de matières administratives et fiscales. 

La filière du live made in France monte en gamme à l’export. L’orientation est commune à la majorité des acteurs de filière, en particulier au sein de la branche des producteurs, et ce quel que soit la taille de leur structure. Ils sont 90 adhérents du PRODISS à avoir une activité à l’export, tandis que le syndicat en compte 350. Les structures membres du PRODISS réalisent 35 millions de chiffre d’affaires soit 58% du total des recettes de tous les producteurs français à l’export. En 2017, pas moins de 80 artistes ont été présents dans des festivals à l’étranger. Et 2018 devrait s’inscrire dans la même dynamique, une dizaine d’artistes (dont Jean-Michel Jarre, Justice ou MHD) s’étant produits au festival Coachella, tandis qu’ils étaient aussi une dizaine à South by South West (SXSW) en mars dernier. Les secteurs du live et la musique enregistrée sont quasiment à équité en termes de valeur générée à l’étranger. Avec l’augmentation constante des volumes d’écoutes et des souscriptions d’abonnement sur les plateformes de streaming, les perspectives de croissance sont assurées pour la musique enregistrée sur les marchés étrangers. Néanmoins, les garanties sont moindres pour le live made in France. 

Des contraintes spécifiques au secteur du live 

La notion de risque est omniprésente dans le métier des producteurs de spectacles, y compris en matière d’export. A la difficulté d’émerger sur les marchés étrangers s’ajoute entre autres le coût de produire des concerts. Une contrainte à laquelle se heurtent les producteurs dès l’organisation des projets. « Notre filière a une spécificité à l’export. Un concert d’un ou de plusieurs artistes à l’étranger nécessite le déplacement d’équipes artistiques et techniques pour de courtes durées. L’export des spectacles est précédé de procédures administratives extrêmement lourdes et coûteuses. Et cela s’est aggravé sur certains territoires, comme aux Etats-Unis c’est de plus en plus difficile, coûteux et exigeant en termes de timing de produire des concerts ou envoyer des artistes pour des festivals »  constate Malika Séguineau du PRODISS. L’export du live made in France se trouve être bridé par de la complexité sur les plans administratifs et fiscal. Les producteurs y sont confrontés au quotidien, qu’ils s’occupent d’artistes confirmés ou ayant émergé sur certains marchés ou qu’ils fassent du développement. L’expérience de Thierry Langlois (Uni-T), producteur des tournées de The Do et de Lily Wood and the Prick, est très parlante du fait des succès rencontrés par ces deux groupes entre 2014 et 2017. « Percer au milieu de cette jungle qu’est la scène internationale est déjà une épreuve en soi. Sur chaque territoire, on est en concurrence avec les acteurs locaux et les anglo-saxons qui y sont présents en force. Les français ne sont pas connus sur les marchés clés, il faut donc montrer patte blanche au départ quitte à vendre les spectacles à perte. En général, quand on parvient en les exporter, les artistes ont déjà atteint un niveau élevé en termes de coût de plateau qui se trouve être supérieur à la valeur à laquelle on peut vendre le spectacle à l’étranger. Avec les coûts annexes, l’on arrive à un surcoût d’environ 100% par rapport à une tournée sur le territoire français. Et pour les territoires hors de l’Europe, l’on fait face à des contraintes administratives et fiscales qui accompagnent l’export des spectacles. Pour les Etats-Unis par exemple, l’obtention des visas est compliquée, il faut s’y prendre au moins six mois à l’avance pour être sûr d’être dans les temps. Il y a également d’autres inconvénients comme une certaine taxation à la source des revenus ». Autant de contraintes peu supportables pour les structures de petite et de très petite taille. C’est ce que confirme Fred Lomey, producteur au sein de Melodyn : « les difficultés sont réelles. Il faut demander toutes les autorisations administratives et c’est très compliqué et fastidieux. Si on fait le ratio temps / argent, on y perd beaucoup d’argent. On perd déjà de l’argent quand on envoie nos artistes là-bas à cause des budgets très bas parce que les salles ne sont pas subventionnées comme en France. Je dirais que mettre autant d’argent sur l’export doit s’inscrire dans une vraie stratégie ou alors ce doit être pour saisir une réelle opportunité ». 

Les producteurs en quête de solutions et de marge de manœuvre 

Compte tenu des opportunités croissantes pour les made in France pour des concerts, des showcases et des festivals à l’étranger, la filière du spectacle a de nombreuses attentes vis-à-vis des politiques. Il faut dire que le moment est on ne peut plus opportun, le Gouvernement ayant fait du rayonnement de la France l’une de ses priorités. Les producteurs souhaitent clairement s’engouffrer dans la brèche, au vu de la position avancée par la Directrice Générale du PRODISS : « Le Président de la République parle de favoriser l’internationalisation des entreprises françaises, de rayonnement, de fluidifier les relations et les échanges entre les pays. Nos entreprises sont un vecteur de rayonnement pour la France. Il faut tenir donc compte de leurs besoins pour faciliter l’export des spectacles ». Concrètement, les principales difficultés administratives portent sur l’obtention des visas et autorisations de travail. Sur le plan fiscal, les artistes et les producteurs font face à une double-imposition. « Il faut lever ce frein » rétorque Malika Séguineau, qui souligne qu’« en principe, les conventions fiscales signées par la France avec des pays tiers prévoient des dispositions pour éviter la double imposition. Ainsi, la majorité des salariés peut bénéficier de la clause de mission temporaire inspirée de l’article 15 du modèle OCDE et reste imposée dans son Etat d’origine lorsque la mission est d’une durée inférieure à 183 jours. Une entreprise qui envoie des ingénieurs sur un chantier à l’étranger ne paiera pas de retenue à la source. Toutefois, et alors même que l’artiste est présumé salarié, ces dispositions ne s’appliquent pas aux artistes. Des dispositions spécifiques aux artistes sont en effet prévues dans l’article 17 du modèle de l’OCDE. Leur rémunération est imposable dans l’Etat d’exercice de l’activité, peu important la durée de la prestation et également dans l’Etat de résidence. Cette situation, infondée, est discriminante et pénalise les producteurs de spectacles. Un artiste résident fiscal français paiera en France l’impôt sur des revenus correspondant à des activités artistiques exercées à l’étranger, alors que le producteur aura déjà eu à sa charge l’impôt sur ces revenus dû dans le pays de la prestation … C’est une règle anachronique qu’il faut revoir aujourd’hui ! » Pour tenter de sensibiliser les pouvoirs publics, et en particulier le Gouvernement, les producteurs de spectacles ont récemment exposé leurs problématiques sur le plan fiscal auprès des équipes du Ministère de l’Economie et des Finances. « Les discussions sont en cours. Nous ne demandons pas ici une aide financière mais que l’on prenne en considération la difficulté à laquelle se heurtent nos entreprises. Il conviendrait d’obtenir une exemption de retenue à la source et a minima, de simplifier les dispositifs permettant de répercuter cette retenue à la source sur l’impôt payé en France » insiste Malika Séguineau, Directrice Générale du syndicat majoritaire de la branche. 

Le Bureau Export indispensable pour l’accompagnement des professionnels 

L’accompagnement et le soutien financier sont indispensables pour impulser l’export du live made in France. « La première attente de nos adhérents porte sur notre capacité à les mettre en relation avec les bons interlocuteurs et ce sur des territoires clés » observe Marc Thonon, Directeur Général du Bureau Export. Avec un nombre d’adhérents passé de 317 à plus de 500 en dix-huit mois, le Bureau Export a d’ailleurs renforcé la place du spectacle en son sein. Les projets soutenus au sein de l’organisme chargé d’impulser et d’accompagner l’export de la musique made in France sont à quasi-égalité entre musique enregistrée et spectacle. C’est d’ailleurs pour accompagner l’export du live que le Centre National des Variétés a considérablement augmenté sa contribution dans le budget du Bureau Export, passée de 80 000 à 350 000 euros en 2017. « Nous voyons tout au long de l’année le potentiel formidable de l’international en matière artistique, économique, sociale, sociétale. Le soutien du CNV au Bureau Export est indéfectible. Une rencontre entre les deux équipes est d’ailleurs prévue dans les semaines à venir pour que chacune comprenne le fonctionnement des deux et pour voir comment renforcer des synergies entre les deux » s’enthousiasme Philippe Nicolas, son Directeur. Une augmentation supplémentaire de la participation du CNV sera d’ailleurs discutée en son sein début mai. Avec un positionnement stratégique dans la filière et en tant qu’interlocuteur privilégié des professionnels étrangers, le Bureau Export pourrait actionner un certain nombre de leviers pour apporter des solutions efficaces aux problématiques rencontrées par les professionnels du spectacle. Il s’y attèle déjà, avec le peu de moyens à disposition, notamment en multipliant les rencontres avec les adhérents pour les former sur les questions précitées, mais aussi en travaillant avec le Ministère de la Culture, le Ministère de l’Europe et des Affaires étrangers ainsi que le Ministère de l’économie et des finances. Des marges de progression subsistent en la matière, concède Marc Thonon, qui estime que « monter en gamme dans l’expertise est un objectif, qui nécessiterait notamment de dédier des fonctions au sein du BurEx à ces questions pour agrémenter l’accompagnement des professionnels ». Une ambition qui s’ajoute à l’orientation prise de renforcer les enveloppes des aides, passées de 600 000 euros à 1,5 million d’euros en deux ans. Malgré l’effort des pouvoirs publics et des partenaires de la filière d’augmenter son budget l’an dernier, le Bureau Export reste en quête de moyens supplémentaires. Rien que pour satisfaire tous les besoins de ses adhérents, il est estimé que le montant des aides devrait s’élever à 4 millions d’euros. Ce qui nécessite le rehaussement des subventions du Ministère de la Culture et du Ministère de l’Europe et des Affaires Etrangères, mais également l’augmentation des apports des partenaires de la filière.

 

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