Gestion des niveaux sonores : le secteur du spectacle à l’aube d’un nouveau cadre réglementaire

8
minutes

Un sérieux revers a été encaissé par les professionnels du spectacle en août dernier lors de la publication décret relatif à la prévention des risques liés aux bruits et aux sons amplifiés. Le texte, communément appelé « Décret niveaux sonores » ou « Décret son », a instauré plusieurs mesures visant à renforcer la gestion des niveaux sonores dans les salles de spectacles et les festivals. Certaines sont jugées trop restrictives par les professionnels du secteur au point d’être compromettantes pour la mise en application du texte. L’incertitude règne autour des normes exactes qui s’imposeront aux professionnels dans la diffusion de la musique et des spectacles. 

La baisse du plafond acoustique dans les salles de concerts et les festivals sera actée en octobre 2018 au plus tard. L’ensemble des acteurs de la filière du spectacle (diffuseurs, techniciens, producteurs, artistes) s’accordent à dire que le nouveau décret est particulièrement contraignant pour l’écosystème. L’abaissement du plafond acoustique de 105 à 102 dB(A), la fixation d’un plafond de 118 dB(C) (infrabasses), l’obligation de conservation des données justifiant les niveaux sonores pendant six mois, l’affichage du score des décibels en continu pour les régisseurs son, la mise à disposition de protections auditives pour les publics et l’accessibilité à des zones de repos avec un niveau sonore inférieur à 80 décibels sont les principales mesures du futur cadre réglementaire de la gestion des niveaux sonores instauré par le décret. La position des acteurs de la filière est on ne peut plus explicite. De leur point de vue, la mise en application de certaines dispositions aura des incidences soient techniques, artistiques et même économiques vis-à-vis de l’activité des professionnels. 

Difficultés de mise en application 

La filière du spectacle étant dans une stratégie de concertation, une approche indispensable pour défendre l’ensemble de ses intérêt auprès des pouvoirs publics, elle n’a pas manqué de faire preuve d’anticipation. AGI-SON, l’association chargée de promouvoir et de généraliser la bonne gestion des niveaux sonores, s’est appliquée à présenter les grandes lignes du décret dans l’ensemble des régions, soit auprès d’environ 500 professionnels. Mais surtout, à cette occasion les équipes de lieux de diffusion, les organisateurs de festivals, les techniciens ou encore les musiciens, discutent des modalités du texte et des impacts escomptés sur leurs activités respectives. « Nous sommes parvenus à établir que certaines mesures du texte sont inapplicables d’un point de vue purement technique. Les problématiques que nous avions relevées, comme le respect d’une valeur en dB(C) en tous points accessibles au public ou encore le plafond de 102 dB(A) sont les mêmes que celles des professionnels sur le terrain. Une rédaction en bonne et due forme de l’arrêté d’application est indispensable » revendique la Déléguée Générale de la structure fédérant 40 organisations. Les modalités de mesure des niveaux sonores sont l’une des priorités des professionnels. « Si l’on suit le texte, on serait obligé de changer tous les appareils, sauf que le matériel pour répondre à l’exigence ‘en tous points’ n’existe pas puisqu’il faut du multi-micros. Avoir une fonction de transfert au niveau de la console permettrait d’avoir du matériel existant » explique Angélique Duchemin. En parallèle des discussions entre acteurs concernés dans la filière, les professionnels s’attèlent à être force de proposition pour faire valoir leurs intérêts. « Dans cette logique de concertation, le Conseil National du Bruit (CNB) a été saisi par son Président, le Député de Seine-Maritime Christophe Bouillon, pour émettre un avis sur l’arrêté d’application. Nous mettons tout en œuvre pour faire une proposition précise et pertinente et que les Ministères pourront exploiter » assure Angélique Duchemin. L’avis du Conseil National du Bruit est attendu en juin prochain.  

La position de la filière ne fait pas l’unanimité 

[ihc-hide-content ihc_mb_type= »block » ihc_mb_who= »unreg » ihc_mb_template= »-1″ ]

Certains experts en matière de gestion de niveaux sonores ont une toute autre approche vis-à-vis du décret. De leur point de vue, il n’est pas avéré que les appréhensions des professionnels du spectacle soient justifiées tant que le texte comporte autant d’imprécisions. C’est la position de Christophe Sanson, Avocat au barreau des Hauts-de-Seine qui fait de la lutte contre le bruit son cœur de métier. Un spécialiste qui connait le sujet puisqu’ayant été l’un des auteurs du décret de 1998 relatif aux prescriptions applicables aux établissements ou locaux recevant du public et diffusant à titre habituel de la musique amplifiée, cadre actuel en matière de gestion des niveaux sonores. « L’arrêté viendra apporter des clarifications alors il pourrait répondre aux incertitudes des professionnels. C’était le cas dans le texte précédent qui sans son arrêté n’était pas opérationnel. On pourra déterminer les problèmes quand l’arrêté sera là. Et je pense que cet arrêté sera très détaillé au point de rajouter de la complexité et de l’interprétation. Ce n’est pas un hasard si le précédent texte de 1998 avait mis autant de temps à sortir quand on sait que les travaux avaient démarré en 1994 et que la mission bruit était intervenue en 1995. C’est très compliqué de concilier tous les intérêts lors de la rédaction d’un texte » analyse Me Sanson. En marge de la position majoritaire au sein de la filière du spectacle, certains acteurs ont privilégié la contre-offensive avec un recours au décret déposé devant le Conseil d’Etat en octobre dernier par la Chambre Syndicale des Lieux Musicaux Festifs et nocturnes (CSLMF), ex-CSCAD. « Nous avons pris la mesure des dégâts potentiels sur l’activité des clubs dès la lecture de ce décret. Or il  y a une partie des professionnels qui n’ont pas pris le temps de le lire et qui ne se sont pas exprimés. Je pense que le jour où chacun sera confronté à la réalité économique pour respecter ce qui sera dans l’arrêté de la mise en application l’on entendra vraiment la profession. Nous avons préféré réagir immédiatement. Il y a des décisions qui peuvent être prises pour aller dans le bon sens tout en protégeant la santé des publics. Il faudrait mettre le paquet sur la prévention plutôt que de mettre en place un dispositif compliqué et insupportable pour l’ensemble de la profession » insiste Michel Pilot, Secrétaire Général. 

L’exemple de la Ville de Lyon 

D’autres acteurs n’ont pas attendu la publication du décret pour s’engager à adopter de bonnes pratiques et travailler dans une logique de concertation avec les pouvoirs publics. La Ville de Lyon montre l’exemple en matière de gestion de niveaux sonores. La charte de la vie nocturne signée en 2006 l’illustre tout au long de l’année. C’est une véritable dynamique de partenariat qui s’est mise en place avec les gérants des clubs ainsi qu’avec certains gérants de salles et organisateurs de festivals. En instaurant un dialogue constant avec les professionnels du monde de la nuit et du spectacle, la Ville de Lyon a réussi le pari de ne plus cantonner la gestion des niveaux sonores à quelques exceptions. Un certain nombre de lieux diffusant de la musique amplifiée communiquent spontanément les données de leurs études d’impact. « La charte est vraiment une instance au sein de laquelle on communique et on partage des informations. Les syndicats font passer les messages à leurs adhérents et cela accélère la mise en conformité des professionnels par le biais d’échanges de bonnes pratiques » relève Catherine Foisil, Responsable du Service Hygiène Urbaine au sein de la Direction de l’Ecologie Urbaine de la Ville de Lyon. Des salles comme la Halle Tony Garnier et festivals de musiques actuelles comme les Nuits de Fourvière se prêtent au jeu de la prise de mesure depuis quelques années. Et le plafond acoustique de 105 décibels sur une durée de 15 minutes n’a jamais été franchi. Bien que la date de la publication de l’arrêté du décret ne soit pas encore définie, la Ville de Lyon a d’ores-et-déjà fait part de sa volonté d’accompagner les professionnels pour leur mise en conformité avec le nouveau cadre réglementaire. Les professionnels du spectacle songent bien évidemment à demander aux pouvoirs publics et aux partenaires de la filière l’octroi d’aides financières pour se mettre en conformité avec les dispositions du nouveau décret. Parmi les pistes en réflexion, celle de la création d’une commission dans les instances du Centre National des Variétés.

[/ihc-hide-content]

 

Partager cet article