Angelo Gopee – Live Nation France : « La concentration dans le secteur du live est un faux débat »

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Angelo Gopee, Directeur Général de Live Nation France

A l’instar des majors de la musique enregistrée, cette major du live suscite autant d’hostilité auprès d’une partie des professionnels qu’elle force l’admiration de certains autres, en plus de jouir d’une popularité indéniable auprès du public. Live Nation France s’est imposé au milieu des leaders du marché français en seulement quelques années. A l’échelle internationale, quelques chiffres à propos de Live Nation Entertainment suffisent à en prendre la dimension stratosphérique. 10,3 milliards de dollars en 2017, un total de 24 000 concerts par an, une implantation dans 43 pays ou encore un concert produit toutes les 20 minutes. Pour autant, contrairement aux affirmations de part et d’autre, du côté des professionnels comme dans les médias, l’on est encore très loin d’un mastodonte qui absorberait tout un secteur en France. Live Nation France a une stratégie. Celle de répondre à la demande des spectateurs de voir sur scène leurs artistes favoris ou récemment découverts, qu’ils soient français ou anglo-saxons, en concerts, en festivals, à Paris et en régions. Dans une interview exclusive accordée à CULTUREBIZ, Angelo Gopee parle de sa vision pour l’industrie et de son approche du métier de producteur. Et parce qu’il se sait attendu sur le sujet, le Directeur Général de Live Nation France s’explique longuement à propos de la concentration, non sans replacer le débat dans son contexte et ceux qui le portent face à leurs contradictions. 

CULTUREBIZ : Pouvez-vous communiquer sur les indicateurs et sur le positionnement de Live Nation France ? 

Angelo Gopee : Nous organisons 1 400 concerts par an et produisons entre 300 et 400 artistes, et avons réalisé un chiffre d’affaires de 170 millions d’euros en 2017. Mais contrairement à ce que j’entends ici et là, il n’y a pas d’acteur américain qui est entrain de conquérir le marché français. Live Nation France est une société française qui existe depuis bientôt 9 ans. Autour de nos concerts et de nos festivals, ce ne sont pas moins de 10 000 emplois français qui sont générés. Quand je suis arrivé en 2009 nous étions une équipe de trois et maintenant nous sommes 65. D’emblée j’avais exposé ma feuille de route et j’ai fait exactement ce que j’ai dit que j’allais faire. Il n’y a donc pas eu de surprise par rapport à ce que l’on a mis en place. Nous avons pris des paris en produisant un certain nombre d’artistes et en organisant des festivals. Aujourd’hui notre activité se porte effectivement très bien. Le secteur du live est certes devenu beaucoup plus important que la musique enregistrée mais je tiens à préciser que la part de marché de Live Nation France n’est pas la plus élevée. Le marché se porte déjà très bien déjà sans prendre en compte l’activité de Live Nation France, au vu des succès de l’année 2017 comme ceux de Soprano (Décibels production), M Pokora ou M. Et 2018 ne devrait pas faire exception à la règle avec les tournées d’Orelsan, Indochine (3S Entertainment), Vianney, Shaka Ponk (Zouave Spectacle), ou encore Big Flo & Oli. 

Comment décrivez-vous votre approche du métier en tant qu’entrepreneur du spectacle ? 

Vision, compréhension, innovation, communication et partage sont des maitres mots chez Live Nation France. Entreprendre et produire des concerts est toujours un risque, même quand on s’appelle Live Nation. Nous faisons de l’humain et sommes alimentés par la passion. Les artistes ont longtemps été considérés comme des produits par les grosses structures. Nous travaillons en étroite collaboration avec les artistes et avec leurs collaborateurs en leur demandant leur avis, leurs besoins et préoccupations pour leur apporter des solutions et des services efficaces et cohérents. 

Au-delà des têtes d’affiche signées chez Live Nation France, l’on remarque un certain nombre de jeunes artistes dans votre roster, qui se produisent notamment lors de concerts dans la salle Les Etoiles (Paris). Quelle est la place accordée au développement d’artistes au sein de Live Nation France ? 

Nous sommes partis du principe que s’il n’y a pas d’artistes en développement aujourd’hui, il n’y aura pas d’artistes qui émergeront parmi les têtes d’affiche et qui à terme pourront remplir des salles à l’avenir. Le développement d’artistes est le sacerdoce d’un producteur. Nous sommes donc particulièrement investis dans le développement auprès des artistes. Nous avons actuellement 25 artistes français dans notre catalogue, dont 75% sont en développement. Les concerts produits par Live Nation au Stade de France, à l’AccorHotels Arena ou encore dans les Zénith sont la partie immergée de l’iceberg. Il y a quelques semaines, le même soir du concert d’Imagine Dragons à guichets fermés à l’AccorHotels Arena, nous avions le rappeur anglais Giggs à la Bellevilloise, le groupe de rock alternatif The Rubens aux Etoiles ou encore la jeune chanteuse anglaise au Yoyo. Mais tout ce qui intéresse nos concurrents ce sont les concerts que nous produisons dans l’enceinte des plus grandes salles de France alors que c’est une partie de notre travail. La tournée sold out du groupe Imagine Dragons par exemple, pour ne citer qu’elle, est le résultat d’un travail de développement mené depuis sept ans. Nous avions commencé par un concert au Divan du Monde il y a six ans. 

« On devrait parler de la vision et de l’ambition que l’on a pour développer et pérenniser l’industrie du live »  

Live Nation France fait partie des acteurs qui, avec AEG, Fimalac Entertainment ou encore Lagardère Live, sont directement ciblés par les professionnels et par les pouvoirs publics quand ils emploient le terme « concentration ». L’on vous reproche d’être agressifs sur le marché français, en raison des nombreux concerts produits chaque année avec des têtes d’affiche françaises, et surtout avec des artistes anglo-saxons, des festivals organisés en été et venus concurrencer les existants, ou encore du nombre croissant de salles rachetées ces dernières années. Que répondez-vous à ces critiques ? 

La concentration dans le secteur du live est un faux débat. La réalité est que le marché est arrivé à la fin d’un certain cycle depuis quelques années. Et beaucoup s’adossent à une problématique qui n’en est pas une car ils n’ont pas su – et ne savent toujours pas – comment appréhender le futur. Un certain nombre d’acteurs n’ont pas vu venir le changement car ils n’avaient pas compris à quel point les habitudes et les préférences des consommateurs étaient non seulement en train de changer mais qu’elles sont en constante évolution. Ceux qui n’ont pas vu arriver ni la nouvelle génération d’artistes des musiques urbaines qui sont en têtes des charts tout au long de l’année et qui remplit les salles de spectacles – parce qu’ils n’y croyaient pas – sont les mêmes qui pensaient que le hip hop et l’électro ne toucheraient pas le grand public il y a une quinzaine d’années. Chez Live Nation, notre stratégie repose sur le principe de proposer une offre en phase avec la demande des spectateurs. Le streaming a permis l’accès à la musique de façon illimitée avec des perspectives de succès qui ont été décuplées. Il n’y a plus dix ou vingt artistes qui rencontrent du succès en France, il peut en avoir cent. Beaucoup des artistes qui sont parmi les plus plébiscités par les spectateurs ne sont pas chez Live Nation. Il faut donc relativiser le terme de concentration. Live Nation n’est pas responsable des difficultés rencontrées par certaines structures. La concentration est un sujet pour ceux qui, en réalité, sont des privilégiés depuis plus de 20 ou 30 ans, parce qu’ils ont été les premiers à être aidés à l’époque et ce sont quasiment toujours les mêmes aujourd’hui. Il est plus facile de cristalliser sa vision en brandissant la menace de la concentration que de se remettre en question. Nous faisons aussi face à de la concurrence et nous ne la craignons pas. L’on devrait parler de la vision et de l’ambition que l’on a pour développer et pérenniser l’industrie du live. Beaucoup pointent du doigt la concentration sous couverts de « culture » alors qu’ils font du divertissement. Que l’on soit producteur de spectacles, organisateur de festivals ou diffuseur, on fait tous du divertissement avant tout. Aujourd’hui, nombreux sont les gérants de salles de musiques actuelles en régions qui s’étonnent d’être confrontés à une baisse des spectateurs. Mais la programmation de leurs salles ne reflète absolument pas les goûts des spectateurs et encore moins la consommation de la musique, quand on sait que les musiques urbaines représentent 70% des écoutes sur les plateformes et l’électro 20%. Un certain nombre des salles en régions sont malheureusement vides. Il faut absolument remplir ces salles en programmant des concerts d’artistes de toutes esthétiques, des musiques urbaines, de la variété, des musiques classiques, du jazz, des musiques du monde etc. Il y a un sérieux problème de diversité en France, et comme chacun le sait c’est un problème social qui s’étend bien au-delà de la culture. Mais où est la diversité dans les entreprises, les organisations et les institutions dans les secteurs culturels ? Partant de ce constat, l’on peut se demander si c’est vraiment Live Nation qui gêne ou si c’est plutôt Angelo Gopee, entrepreneur issu de la Seine-Saint-Denis… La question a le mérite d’être posée. Dès mon arrivée j’ai expliqué que la musique était en train de changer et j’ai mis en application une feuille de route dont je n’ai jamais dévié. J’estime avoir réussi non pas parce que c’est Live Nation mais bien parce que j’avais une vision précise et cohérente de mon métier et de l’industrie. 

Certains organisateurs de festivals redoutent que Live Nation France instaure une exclusivité vis-à-vis de ses artistes pour qu’ils soient programmés dans ses propres festivals comme le Main Square, le Download ou encore le Lollapalooza Paris. Ces craintes sont-elles justifiées ? 

C’est un débat qui, à l’instar de la concentration, n’a pas lieu d’être. Nos artistes font tous les festivals de France sans aucune retenue de notre part. Cet été, les artistes Live Nation sont programmés une cinquantaine de fois rien que sur les dix festivals les plus importants. Macklemore, annoncé au Garorock, aux Eurockéennes et à Rock en Seine cet été, est signé chez Live Nation. Liam Gallagher, programmé aux Eurockéennes, aux Déferlantes, aux Vieilles Charries et à Rock en Seine, est également signé chez Live Nation. Il y en a d’autres, comme Depeche Mode à Beauregard, Musilac et aux Vieilles Charrues, ou encore Nekfeu à Solidays, Garorock et Beauregard. Pourquoi inventer un problème alors que les faits montrent le contraire ? Ce n’est clairement pas la stratégie de Live Nation, d’imposer à des artistes de la nouvelle génération comme Vald ou à des têtes d’affiche du calibre de IAM de ne faire que des festivals Live Nation. Nous n’avons pas non plus l’intention de systématiquement poser des exclusivités sur les tournées des artistes qui rejoignent Hashtag NP, la structure de management fondée par Pascal Nègre en association avec Live Nation France. 

« Encourager l’arrivée d’une nouvelle génération de professionnels et d’entrepreneurs qui puisse développer des artistes et dynamiser la filière » 

L’on pointe régulièrement l’absence d’une véritable ambition pour les secteurs de la musique et du spectacle. Quelle est votre analyse, et quels sont les principaux éléments manquants pour impulser le changement ? 

C’est intéressant que l’on ne parle que de la concentration alors qu’il faut avant tout revoir les bases de la politique culturelle en France. Est-ce que les pouvoirs ont encouragé la création de nouvelles écoles pour former des producteurs de spectacle, des directeurs de festivals, des gérants de salles, des managers ou des agents ? Si on veut lutter contre certains phénomènes, il faut se donner les moyens de mettre en place des alternatives. Depuis trente ans ce sont les mêmes qui sont aidés et qui ont accès à la réussite. Chaque année nous voyons les mêmes têtes d’affiche dans le paysage musical et dans le paysage médiatique français et, de temps en temps, de nouvelles révélations comme Vianney ou Christine parviennent à émerger. En France il n’y a qu’une poignée d’artistes qui émergent vraiment chaque année alors qu’en Angleterre ils sont dix fois plus. Mais en même temps, comment peut-on développer la musique et le live et répondre à la demande des publics avec aussi peu d’exposition dans les médias ? Il n’y a quasiment pas d’émission dédiée à la musique sur les chaines du service public. L’on se doit d’avoir davantage d’artistes qui soient exposés. Les pouvoirs publics pourraient aisément s’emparer du sujet de l’exposition de la musique à la télévision. L’éducation artistique est aussi un sujet sur lequel nous manquons d’ambition. 

Chez Live Nation France et avec nos partenaires, nous souhaitons être au rendez-vous pour construire l’écosystème du live de demain. C’est la raison pour laquelle je m’implique personnellement, en tant qu’entrepreneur, sur un projet d’ouverture d’une école de formation qui serait être gratuite pour 70% des élèves. L’ambition sera de donner l’accès à une formation qualifiante et à un diplôme d’état pour des jeunes de tous bords, notamment ceux issus de milieux défavorisés et de la diversité, pour qu’ils apportent leurs compétences et leurs talents au secteur du live notamment. Nous voulons également donner l’opportunité à des femmes d’être entrepreneures et d’avoir accès à des postes à responsabilité au sein des entreprises, des organisations et des institutions. Pendant de nombreuses années, le secteur s’est coupé d’une partie non négligeable des ressources humaines que sont les femmes et les jeunes de banlieues. Personne ne parle du manque de diversité et d’égalité hommes-femmes dans les filières de la musique et du spectacle. Mon sentiment est que certains acteurs ne veulent pas de changement pour conserver la mainmise sur un business qu’ils ont partagé entre eux depuis 30 ans. Or c’est important d’encourager l’arrivée d’une nouvelle génération de professionnels et d’entrepreneurs qui puisse développer des artistes et dynamiser la filière avant de rencontrer du succès à leur tour.

 

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