International : l’industrie de la musique persiste et signe sur le transfert de valeur

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Le streaming se voit chargé d’assurer la pérennité de la croissance du marché par l’industrie de la musique, représentée par l’International Federation of the Phonographic Industry. Deux orientations sont mises en exergues par les contenus du bilan annuel du marché mondial publié par l’IFPI. Un potentiel de croissance incommensurable qu’impulseraient les innovations – dans des secteurs très variés allant de la réalité virtuelle à l’automobile – et qui rend optimiste tout le secteur sur l’avenir. Mais de prime abord, la question du transfert de valeur, érigé en priorité absolue du fait de la prédominance effective du streaming, sur laquelle les acteurs conjuguent leurs efforts aux échelles internationales, européennes et locales.

La bascule numérique de la musique enregistrée vers le numérique s’est produite à l’échelle mondiale. Globalement, le marché a enregistré une progression de 5,9% pour atteindre 15,7 milliards de dollars soit 14,4 milliards d’euros. En 2016, 50% des revenus du marché ont été générés sur le digital (+17,7%), lui-même impulsé par une large progression des recettes du streaming à hauteur de 60,4%. La barre symbolique des 100 millions d’abonnements payants a été franchie au point, du fait des formules « famille » qui ont commencé à décoller, que le total des utilisateurs des formules payantes de streaming s’élève à plus de 112 millions dans le monde selon l’IFPI. La balance des habitudes de consommation penche clairement en faveur des plateformes d’écoute de musique en ligne. Le physique est en net recul (-7,6%) dans le monde bien que certains marchés principaux fassent figure d’exception comme le Japon où il conserve 80% de parts de marché et l’Allemagne (62%). Et comme prévu, la chute du téléchargement s’est également poursuivie l’an dernier (-20%). D’après l’IFPI, les plateformes de streaming vidéo – YouTube pour ne pas le nommer – comptent pas moins de 900 millions d’utilisateurs, tandis que Spotify, Apple Music, Deezer etc. en cumulent 212 millions. Les revenus de deux types de plateformes au bénéfice des ayants-droit sont on ne peut plus contrastés. En quête d’une meilleure rentabilité sur le streaming financé par la publicité, la filière de la musique réaffirme le manque à gagner causé par le transfert de valeur.

Demi-teinte

L’enthousiasme des acteurs de l’industrie de la musique concernant le marché du streaming n’est pas le même que celui affiché vis-à-vis des innovations technologiques attendues pour élargir les volumes d’utilisateurs et d’écoutes de musique en ligne dans les prochaines années. Les majors s’accordent sur le fait que la croissance du marché de la musique certes considérable – en tant que plus importante progression enregistrée depuis 1997 – pourrait être plus significative. Lors de la publication du ‘Global music report’, Dennis Kooker, qui dirige les activités internationales de Sony Music sur le digital, a souligné que « 2016 pourrait bien avoir été un tournant majeur pour le streaming et en particulier pour le streaming payant. Peut-être que certains pensent que les problèmes sont résolus, mais à vrai dire nous ne pouvons pas nous reposer sur nos lauriers ». Même discours chez Universal Music, Michael Nash, Vice-Président de la stratégie digitale, ayant prévenu que « Si nous en sommes au premier relief et pensons atteindre le véritable point d’arrivée alors nous aurons une mauvaise vue d’ensemble du paysage. Brandir la bannière ‘mission accomplie’ serait même la plus grosse erreur que nous pourrions faire ».

Distorsion de marché

En cause d’une telle retenue chez les majors, le différentiel considérable entre les revenus générés par les écoutes gratuites sur les deux types de plateformes. En 2016, les 212 millions de consommateurs de streaming financé par la publicité sur Spotify, Deezer etc. ont rapporté 3,9 milliards de dollars soit 3,58 milliards d’euros. Avec quatre fois plus d’utilisateurs soit 900 millions, YouTube a reversé sept fois moins aux ayants-droit avec 553 millions de dollars (507 M€). Ce que l’IFPI qualifie dans son rapport, relayé par le SNEP en France, de « distorsion du marché ». Pour sa Directrice Générale, Frances Moore, « Le monde de la musique est en train de saisir l’opportunité et en en train de s’unir pour corriger le transfert de valeur. Si nous obtenons gain de cause, alors cette croissance tout juste de retour pourrait bien être le point de départ vers une industrie de la musique qui soit consolidée et plus équitable ». Face à une part nettement minoritaire des revenus tirés sur YouTube alors même que son volume d’utilisateurs est colossal, les acteurs de l’industrie misent sur une évolution du statut des plateformes. L’IFPI ne chiffre cependant pas le manques à gagner pour les ayants-droit, ni pour les plateformes de streaming concurrentes, générés par la faible rentabilité des écoutes de musique et le streaming des vidéos musicales et la captation des utilisateurs sur YouTube. Elle appelle explicitement à une réponse coordonnée.

Statut d’hébergeur

La remise en cause du statut d’hébergeur des plateformes est, on le sait, dans le collimateur de l’industrie de la musique. Sans doute plus que jamais d’actualité avec les projets de réformes et directives en chantiers à Bruxelles. En particulier, la réforme de la directive sur le droit d’auteur et la directive ‘Services de Médias Audiovisuels’ et son volet visant à responsabiliser les plateformes. Pour l’heure, le projet de texte de la directive du droit d’auteur, particulièrement attendu par les acteurs de l’audiovisuel et de la musique entre autres, n’a pas encore été rédigé. Seule certitude, le texte ira de pair avec l’enjeu visant à l’obligation ou non de plateformes comme YouTube de conclure des contrats de licences équitables avec les ayants-droit. Ce que veulent précisément les acteurs de l’industrie musicale en Europe. De même qu’en outre-Atlantique d’ailleurs, la filière musicale américaine réclamant la réforme du Digital Millenium Copyright Act considérée comme « obsolète » et qui avait été rédigée dans un contexte de volonté d’impulser le développement des plateformes.

Believe Digital à contre-courant

La remise en cause du statut d’hébergeur ne fait toutefois pas l’unanimité. Believe Digital, leader européen de la distribution sur les plateformes auprès des indépendants, est clairement positionné à contre-courant des acteurs de la filière. Lors de sa dernière intervention publique il y a quelques mois, Denis Ladegaillerie s’était longuement exprimé à propos du transfert de valeur. Believe Digital est opposé à la remise en cause du statut d’hébergeur. « Il y a un certain nombre de grosse boîtes qui n’ont pas fait les investissements nécessaires, d’où le fait qu’elles ne monétisent pas » avait déclaré Denis Ladegaillerie. La compagnie revendique un chiffre d’affaires annuel de 50 millions d’euros réalisé sur YouTube et TuneCore. Pour le PDG de Believe Digital, « 50% des revenus de YouTube viennent d’UGC, c’est-à-dire les utilisateurs qui utilisent des extraits de la musique dans d’autres vidéos créatives. Et si on tue le statut d’hébergeur, on tue cette source de revenus. Pour nous, si demain la source de revenus est détruite, cela concerne 20% de notre source de revenus dont la moitié risque de disparaître ». Denis Ladegaillerie avait donc été jusqu’à juger « extrêmement dangereux de remettre en cause le statut d’hébergeur », bien qu’il avait reconnu que « le value gap est un vrai sujet et que l’on peut améliorer la rémunération sur YouTube ». De quoi présager de la difficulté à venir de concilier les intérêts de tous les acteurs de la filière musicale, dans le cadre du marché unique numérique plébiscité par Bruxelles. Les positions des artistes-interprètes réunis à l’échelle européenne par AEPO-Artis, qui réclament un droit à rémunération équitable à l’exploitation des œuvres en ligne directement collecté auprès des plateformes, ce à quoi s’opposent les producteurs, le rappellent constamment.

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