La saison des festivals à peine terminée, le Printemps de Bourges vient d’annoncer les premiers artistes programmés pour son édition 2025. Tiakola, Clara Luciani, Jean-Louis Aubert, et Oboy seront parmi les têtes d’affiche sur la scène principale du premier grand festival de l’année. MUSICBIZ entame à cette occasion une série inédite d’interviews avec des programmateurs de festivals, pour faire connaître ce métier, et pénétrer les coulisses de ces évènements d’envergure, indispensables à la prospérité du secteur du live, pour les entreprises comme pour les artistes. Entretien avec Jean-Michel Dupas, programmateur du Printemps de Bourges depuis 2014. Il évoque l’élaboration de la programmation du festival, son approche du métier dans un contexte toujours plus concurrentiel et exigeant, ainsi que les hausses des cachets d’artistes.

MUSICBIZ : Le métier de programmateur est peu connu, vous l’exercez depuis 30 ans. Comment est née votre vocation ?
Jean-Michel Dupas: Comme beaucoup, c’est d’abord la passion de la musique, avec une initiation au rock dès 10 ans. L’organisation et la programmation sont des métiers à part, avec des parcours plus atypiques. Il n’y a pas de véritable formation, sachant qu’au début des années 90 ce n’était pas aussi professionnalisé. C’est un métier spécial, pas toujours facile, et avec beaucoup de subjectivité mais qui demande une réelle maîtrise du “marché”.
Quand démarrez-vous l’élaboration de la programmation du Printemps de Bourges et quelles en sont les grandes étapes ?
Nous commençons dès le mois de juin. Tout part d’une grille de travail avec divers critères, dont le respect du budget alloué par soir et par salle, la cohérence du plateau d’artistes, et celle du spectacle avec la salle. La particularité est que nous avons de 12 à 14 lieux différents allant de 80 à 10 000 places.
On essaie en même temps d’anticiper sur l’actualité, en programmant des artistes qui vont sortir leurs albums, auront une actualité juste avant Bourges, ou même que nous avons vus dans des festivals à l’étranger. L’idée étant toujours d’être une photographie de ce qui se fait en musiques actuelles, on ne peut pas non plus trop anticiper.
Pour l’édition 2024, pour la scène principale (le W), nous sommes partis d’une cinquantaine d’artistes pour arriver à une vingtaine. C’est variable en fonction des années, des lieux.
Il nous faut rendre la programmation des principaux lieux avant fin novembre et celle des autres mi-janvier. La grille évolue chaque semaine avec des noms qui s’y rajoutent et s’enlèvent… Il nous arrive de rajouter des noms une semaine avant le bouclage. Tous les artistes et les groupes ne sont pas forcément prêts, disponibles ou accessibles.
“Les tournées se montent de plus en plus à l’avance par rapport à il y a 5 ou 10 ans”
Comment vous vous coordonnez avec les autres équipes du festival, après signature avec l’artiste et ses partenaires ?
Une fois le deal confirmé, il y a toute la partie administrative autour des informations, données et conditions. Le service communication travaille ensuite sur la promotion, avec les annonces de mise en vente des billets.
Très vite nous avons des réunions poussées avec le service technique pour leur expliquer l’esprit du plateau, définir les ordres de passage et les horaires, organiser les changements de plateau pouvant être de 15 ou de 45 minutes. L’artistique est intimement lié à la production et la technique.
Quelle place tient l’anticipation dans votre métier de programmateur ? Est-ce récurrent de vous positionner sur les têtes d’affiche plus d’un an avant, pour des raisons de concurrence, d’agendas, de singularité, voire d’exclusivité ?
C’est justement de moins en moins rare. Les tournées se montent de plus en plus à l’avance par rapport à il y a 5 ou 10 ans.
Pour autant, les artistes que l’on cible un an et demi ou deux ans avant ne sont pas si nombreux. Il est vrai que nous étions déjà positionnés sur 3 à 4 artistes pour l’édition 2024, alors que l’édition 2023 n’a pas encore eu lieu. Nous savions que c’était le moment de le faire, que ces artistes et leurs équipes montaient leur planning.
On anticipe aussi sur les créations pour 2025, en faisant dès à présent des rendez-vous avec des artistes.
“Parfois, les paris ne sont pas les bons, et c’est aussi ce qui fait le charme du métier”
La prise de risque est-elle toujours aussi importante pour un programmateur de festival en 2024, avec les réseaux sociaux et les plateformes de streaming ?
70% des artistes que nous programmons sont des artistes émergents, avec juste un premier album, un EP ou quelques titres.
Chaque année, nous prenons des paris avec des artistes que nous n’avons pas vus mais qui nous intéressent.
Nous avions programmé Pierre de Maere en tête d’affiche du théâtre Jacques Coeur dès septembre 2022, il était très peu connu.
Parfois, les paris ne sont pas les bons, et c’est aussi ce qui fait le charme du métier. Les réussites ne peuvent être savourées que si elles s’accompagnent d’échecs.
“Un certain nombre de cachets d’artistes ont été multipliés par 10, voire plus”
Les cachets d’artistes sont régulièrement évoqués par les organisateurs de festivals, qui dénoncent leur augmentation incessante au fil des années. Quel est votre constat ?
En une dizaine d’années, un certain nombre de cachets d’artistes ont été multipliés par dix, et même plus pour d’autres…
On pensait avoir atteint des sommets avec la pandémie, mais non, ça a continué d’exploser. Et je pense qu’on est encore au début, chaque année on atteint un seuil qui est dépassé l’année d’après.
Certains cachets sont justes par rapport à la valeur économique des artistes, et d’autres sont disproportionnés.
A terme, je pense qu’il y aura plusieurs divisions de festivals avec les principaux détenus par les groupes, les festivals avec quelques noms seulement notamment par manque de moyens, et les autres festivals qui essayeront de vivoter avec des artistes alternatifs. On se dirige vers une uniformisation des festivals.
Interview par Jason Moreau, Directeur de la publication de MUSICBIZ