La progression des collectes de droits d’auteurs sur le numérique, un enjeu international

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Le droit d’auteur est à la racine de l’écosystème et de l’économie de la musique et plus globalement des industries de la Culture. La courbe des perceptions de droits d’auteurs et droits voisins est de fait aussi importante que les chiffres relatifs à la consommation de la musique sur le physique et le streaming. En marge des indicateurs du marché de la musique enregistrée, les revenus issus des droits d’auteurs sont au plus hauts. Cependant, des marges de progression subsistent pour consolider les revenus des auteurs. C’est ce que confirme et détaille le nouveau rapport des collectes mondiales publié par la Confédération Internationale des Sociétés d’Auteurs et de Compositeurs (CISAC) qui compte 239 sociétés membres.

Après le record de 9,2 milliards d’euros établi en 2016, les perceptions de droits d’auteurs ont de nouveau atteint un niveau inégalé en 2017 avec 9,58 milliards d’euros tous secteurs confondus (+6,2%). « Les collectes totales sont en hausse pour la cinquième année consécutive. Les indicateurs macroéconomiques pointent dans la bonne direction » a commenté Eric Baptiste, Président de la Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs (SOCAN) et Président du Conseil d’Administration de la CISAC. La musique est bien évidemment la première industrie culturelle en matière de droits d’auteurs avec une part de 87%, devant l’audiovisuel, la littérature, les arts visuels et le spectacle vivant (196 M€, +3,7%). D’après le rapport annuel de la CISAC, 8,33 milliards d’euros ont été perçus au titre des droits d’auteurs dans la musique en 2017. Cela représente 6% de plus qu’en 2016 ainsi qu’une augmentation de 2 milliards d’euros soit 28,3% depuis 2013. Une dynamique qui laisse à supposer que la barre des 10 milliards d’euros devrait être franchie au plus tard d’ici 2020, notamment sous l’impulsion du numérique compte tenu de la croissance exponentielle du streaming. Pour l’heure, sur le plan géographique les collectes de droits d’auteurs dans le Monde sont boostées par les principaux marchés que sont l’Europe avec une part de 52,2% ainsi que l’Amérique du nord avec 25,5%. « Les collectes ont progressé dans tous les répertoires et toutes les régions. Ces résultats impressionnants prouvent toute la valeur apportée par les sociétés d’auteurs aux millions de créateurs qu’elles représentent à travers le monde » s’est félicité Gari Oron, Directeur Général de la CISAC. Premier marché mondial de la musique enregistrée avec un chiffre d’affaires de 5,1 milliards d’euros en 2017 d’après les données de la Recording Industry Association of America (RIAA), les États-Unis sont également, sans surprise et avec une part de 22,6%, leaders sur les collectes de droits d’auteurs avec 1,8 milliard d’euros (+7%). Les droits collectés par la France ont progressé de 2,1% avec 886 millions d’euros. Plus de 10% des droits d’auteurs collectés pour la musique le sont par la France, 2ème pays au classement mondial. Le pays devance tout juste l’Allemagne qui a connu une croissance de 7,1% et totalisé 806 millions d’euros au titre de l’année 2017, ainsi que le Japon (799 millions d’euros) et le Royaume-Uni à 678 millions d’euros.

Augmentation similaire sur les différents segments

La configuration des perceptions des droits d’auteurs reste traditionnelle. Le premier support en matière de collectes de droits d’auteurs est composé de la télévision et la radio qui poursuivent leur dynamique (+3,2%) avec un total de 3,4 milliards d’euros en 2017. Toujours au titre des droits d’exécution publique, les droits pour le live et les ambiances tiennent la 2ème place et se sont élevés à 2,5 milliards d’euros suite à une hausse de 3,4%. En parallèle, sur le segment des droits perçus au titre de la reproduction, il est à noter le recul des droits pour le CD & la vidéo (-2,8%) à 692 millions d’euros, mais elle est nuancée par la progression de 22,6% depuis 2013. D’un point de vue global, les droits d’exécution publique qui regroupent notamment les segments « TV & Radio » et le « Direct (live) & ambiance » entre autres ont été en hausse de 6% en 2017 et de 26,2% entre 2013 et 2017 pour un total de 6,6 milliards d’euros. L’augmentation est similaire pour les droits mécaniques qui englobent notamment le numérique et le segment « CD & vidéo » sur les cinq dernières années, malgré une croissance plus modérée en 2017 (+2,6%).

Le numérique progresse de164% entre 2013 et 2017 mais reste en 3ème position 

L’indicateur marquant des collectes de droits d’auteurs en 2017 porte sur le numérique et il est important à double titre. Le numérique a rapporté 1,2 milliard d’euros aux sociétés d’auteurs en 2017. La hausse de 23,1% en un an grimpe à 164% sur les cinq dernières années. Pour autant, le numérique n’est qu’en 3ème position parmi les sources de revenus des auteurs d’après les données du rapport annuel des collectes de la CISAC. Le numérique ne joue pas encore tout à fait son rôle de relais de croissance en matière de revenus des auteurs. Le transfert de valeur pointé par les ayant-droit sur le marché de la musique enregistrée, et dont l’essence réside dans l’écart entre les revenus générés sur le streaming payant (Spotify, Apple Music, Deezer) et sur le streaming gratuit (YouTube), prévaut évidemment en matière de droits d’auteurs. « Il reste beaucoup à accomplir. Malgré la hausse des revenus du numérique, ceux-ci ne représentent toujours que 13 % des collectes mondiales, une part qui devrait être beaucoup plus élevée » estime le Directeur Général de la CISAC, Gadi Oron. Apporter des réponses adaptées au transfert de valeur est la priorité absolue tant pour les producteurs que pour les organismes de gestion collective qui représentent les auteurs et les artistes-interprètes. La progression n’est tout de même pas à négliger. L’essor du streaming dans la consommation de la musique s’accompagne d’ailleurs d’enjeux non des moindres pour les sociétés d’auteurs tels que le traitement et la maitrise des données. PRS for music, la société d’auteur chargée de la gestion des droits d’exécution publique pour les créateurs au Royaume-Uni, a procédé au traitement de 6,6 mille milliards de microtransactions en 2017, soit 3 milliards de plus en un an, d’après le rapport de la CISAC. En France, ce ne sont pas moins de 2,1 mille milliards de données qui ont été traitées par la SACEM.

La directive droit d’auteur pour contrebalancer le rapport de force avec YouTube en Europe

L’évolution dela législation sur l’ensemble des marchés, qu’il s’agisse des marchés leaderscomme l’Europe ou émergents comme l’Afrique est considérée par les sociétésd’auteurs comme la principale marge de manœuvre pour optimiser les perceptionsde droits sur le numérique. En Europe, l’article 13 du projet de la directivedroit d’auteur permettrait notamment aux sociétés d’auteurs d’être en meilleureposition pour négocier avec YouTube l’octroi de licences et donc unerémunération « adéquate » pour l’utilisation des œuvres. « L’article 13 permettra de négocier des accordsavec plateformes comme YouTube, moins inéquitables. Si le trilogue aboutit àune version positive, ce serait une victoire majeure pour l’industrie de lacréation, la 1ère de ces 20 dernières années où nous avons perdutoutes les batailles menées sur le digital. Nous pouvons gagner à l’échelleeuropéenne si nous nous organisons davantage, et si nous agissons à l’échellenationale et régionale. Nous devons donc continuer de déployer notre stratégieà travers trois actions. « Explain » pour expliquer l’importance de la cultureet le poids des industries culturelles. « Rally », c’est-à-dire s’organiser encoalition. Après France Créative, les italiens ont par exemple créé ItaliaCreativa. Et enfin « Propose », en étant force de proposition, comme nousl’avons été avec le Transfert de Valeur, porté par la Sacem, puis le Gesac etses partenaires européens. La défaite sur ACTA en 2012 a été le moment de prisede conscience sur la nécessité de changer de stratégie au niveau national eteuropéen » plaidait Jean-Noël Tronc,Directeur Général de la Société des Auteurs, Compositeurs et Éditeurs deMusique (SACEM) lors d’une keynote au Reeperbahn Festival à Hambourg enseptembre dernier. Jean-MichelJarre, Président de la CISAC, a également un avis tranché sur ce sujetépineux : « La CISAC s’engagepour l’avenir de plus de 4 millions de créateurs à travers le monde. Toutl’enjeu de cette mobilisation est de savoir si la législation doit continuer àpermettre que la valeur des œuvres leur soit soustraite pour financer lesempires commerciaux des géants de la technologie. Tout en développant lescollectes aujourd’hui, nous devons nous battre de toutes nos forces pour l’avenirdes créateurs. Notre mission est de faire évoluer la législation au niveau mondial,de garantir plus d’équité à tous les créateurs et de poursuivre ce combat sansjamais baisser les bras ». En 2017, la part du numérique dans lesperceptions de droits d’auteurs était de 15% pour le secteur de la musique. La même année où la bascule du marché de la musique enregistrée s’est opérée avec54% des revenus issus du numérique.

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