La feuille de route du Gouvernement pour le secteur de la musique a été déclinée en marge des rencontres professionnelles au Printemps de Bourges. La ministre de la Culture, Rachida Dati, a prononcé son premier discours devant les représentants de la filière, après avoir pris connaissance de leurs priorités. Une prise de parole destinée à rassurer quant à l’ambition et l’engagement du Gouvernement pour le développement des entreprises et des artistes, et pour la prospérité du secteur.

Il faut le dire, le reconnaître: l’intervention de Rachida Dati devant les représentants de la filière musicale s’avère être la plus pertinente et la plus marquante de ces dix dernières années émanant d’une ministre de la Culture.
Le précédent discours d’une telle envergure remonte à Françoise Nyssen au Midem 2017, et avant cette dernière, à Fleur Pellerin au Midem 2015.
La ministre se savait attendue, compte tenu des préoccupations, challenges et enjeux de la filière musicale. Rachida Dati sait aussi et surtout qu’elle suscite autant d’enthousiasme que de réserves voire d’hostilités, pour diverses raisons purement politiques.
Contre toute attente, elle a prononcé un discours remarquable, couvrant la quasi-totalité des enjeux et dossiers afférents à la musique, avec une franchise rare.
Manque d’unité de la filière musicale
Rachida Dati a introduit sa prise de parole en soulevant le manque d’unité et le caractère éparpillé de la filière. « J’avais été surprise, à mon arrivée Rue de Valois. Je demandais les grands principes qui guidaient notre politique publique en la matière et on me répondait par un silence un peu gêné… J’ai vite compris que cela tient en partie à une singularité de la filière musicale: c’est d’être très hétérogène, avec des logiques de séparation plus ou moins claires, plus ou moins assumées. »
Dans la foulée, la ministre a évoqué le millefeuille caractérisant la filière de la musique en France, faisant référence aux « organisations professionnelles nombreuses, comme les organismes de gestion collective », rendant difficilement perceptible « une ligne structurante ».
Rares sont les ministres de la Culture à avoir osé de telles déclarations en public.
L’union de la filière, primant lors des élections et autour de quelques causes communes (crédits d’impôt, export, droit d’auteur, intelligence artificielle), a laissé place à des fractures depuis les débats sur la taxe streaming en 2022 et 2023.
Rachida Dati a invité les représentants de la filière de la musique à aller de l’avant et à se réunir, la taxe streaming étant effective, et a priori irréversible jusqu’en 2027.
« Les discussions sur la contribution des plateformes de streaming sont désormais derrière nous. Le débat a été tranché. (…) Pour pouvoir avancer, je ne vois qu’une seule solution pour la filière musicale : la jouer collective. »
Contribution économique et rayonnement international
La prééminence de la musique dans la consommation de biens et produits culturels, dans la vie culturelle, et les pratiques des français, n’est plus à démontrer.
L’ambition et l’engagement du Gouvernement pour le développement du secteur de la musique sont toujours plus motivés par sa contribution économique. « Sur le plan économique, c’est un secteur qui implique 300 000 personnes et qui représente une vraie richesse pour notre pays : près de 9 milliards d’euros en tout » a précisé Rachida Dati.
La « musique made in France » est également un vecteur de rayonnement important pour la France et la francophonie dans le monde.
La ministre de la Culture a salué le rayonnement des artistes français et francophones sur la scène nationale et internationale. L’export étant effectivement un des rares sujets fédérateurs, et une ambition faisant l’unanimité.
« En 2023, le nombre d’albums et de titres produits en France et certifiés argent, or ou platine, atteint des niveaux records. Je pense à Ofenbach, Soolking, Gazo, Tiakola, Sofiane Pamart, et évidemment Aya Nakamura ! Ce sont d’énormes cartons à l’international ! Il y a de quoi de quoi être fier, et vous pouvez l’être : c’est aussi le résultat de votre engagement collectif » s’est réjouie Rachida Dati.
Donner au secteur et aux entreprises les moyens de leurs ambitions
L’objectif central de cette prise de parole était évidemment de défendre et de valoriser la politique menée par le Gouvernement, qui revendique donner au secteur de la musique les moyens de ses ambitions.
De prime abord avec le Centre national de la musique, ayant notamment pour mission de soutenir les projets des entreprises, et dont le financement pour l’année 2024 a été garanti par l’instauration de la taxe streaming.
« Cela permet de consolider le financement du Centre national de la musique, qui peut renforcer sa mission au service de toute la filière et de sa structuration » considère la ministre.
Rachida Dati a également rappelé les efforts de la puissance publique pour inciter les entreprises de production et de l’édition à investir, tels que les crédits d’impôt sanctuarisés.
« Se donner les moyens c’est aussi prolonger les crédits d’impôt. Nous venons de le faire, jusqu’à fin 2027. On vous donne ainsi toute la visibilité possible pour renforcer encore vos investissements au service de la diversité de la création et des nouveaux talents ».
L’accès à la culture étant une des priorités du Gouvernement, la ministre a insisté sur la nécessité de consolider l’accès à la musique dans les territoires. Elle a d’ailleurs affirmé que les investissements des entreprises de la musique « doivent innerver les territoires », et que l’État assure son rôle de soutien à la création et la diffusion.
« Nos 92 scènes de musiques actuelles sont fondamentales pour que la musique soit accessible à tous, dans l’ensemble du territoire. Plus d’un quart des SMAC se situent en zone rurale ! L’État s’est mobilisé pour augmenter son soutien de 30%, avec une hausse de sa dotation de plus de 3M€. »
Le soutien des artistes et de leurs partenaires labels et éditeurs, passe également l’exposition de la musique et des artistes dans les médias.
Rachida Dati a assuré que la réforme de l’audiovisuel public ne se ferait pas au détriment de la diffusion de la musique sur les antennes de France Télévisions et de Radio France. « La réforme de l’audiovisuel public ne changera rien pour la place de la musique sur le service public ».
Défense et préservation du droit d’auteur et des droits voisins
Permettre au secteur et aux entreprises de se développer passe incontournablement par la préservation de l’existant.
Le Gouvernement a par la voix de Rachida Dati assuré être vigilant quant aux évolutions technologiques et réglementaires impactant le droit d’auteur, les droits voisins, les artistes, et les projets. A commencer par l’essor de l’intelligence artificielle.
« Je ne vois pas en quoi on pourrait opposer défense du droit d’auteur et innovation. Le droit d’auteur a réussi à accompagner toutes les innovations technologiques depuis 200 ans. Il n’y a aucune raison qu’il n’en soit pas de même avec l’IA » a déclaré la ministre.
La défense de la rémunération au titre de la copie privée a aussi été réaffirmée. Une source de revenus conséquente pour les créateurs et producteurs, et dont la pertinence est remise en cause entre autres par les fabricants et commerçants.
« Soyez assurés que je m’opposerai fermement à toute tentative de fragilisation de la copie privée » a martelé Rachida Dati.
Autre sujet non des moindres, la baisse du budget de l’action culturelle des cinq organismes de gestion collective, permettant de soutenir un certain nombre de projets, en raison du gel d’une partie des droits irrépartissables (non reversés aux artistes extérieurs à l’Espace Économique Européen) suite à une jurisprudence de septembre 2020 (arrêt RAAP).
La ministre de la Culture a fait part du soutien et de la préoccupation du Gouvernement, tout en admettant un pouvoir limité malgré « des conséquences désastreuses ».
« La France n’est pas seule décisionnaire dans ce dossier. Les élections européennes vont dessiner un nouveau paysage institutionnel. Vous pouvez compter sur moi pour mener ce combat aussi loin que possible. »
Indépendamment de la qualité de son discours, la ministre de la Culture n’a néanmoins pas fait d’annonces fortes relatives aux demandes sur lesquelles s’accordent les représentants de la filière de la musique, fédérés au sein de l’association Tous pour la musique.
Depuis début février, la filière sollicite « l’intégration sans délai » des offres des plateformes de streaming au pass culture, ainsi qu’une indemnisation pour compenser les pertes de recettes billetterie provoqués par les JO.