La hausse des cachets des artistes programmés en festivals est régulièrement discutée entre les principaux dirigeants du secteur du live, à l’occasion des évènements B2B comme lors de discussions informelles. Du point de vue des organisateurs de festivals, la plupart des cachets des artistes headliners sont trop élevés, et ne cessent d’augmenter. Alors que la saison des festivals bat son plein, le ministère de la Culture s’empare du sujet et vient d’annoncer que des propositions seraient formulées pour consolider les “pratiques vertueuses“. Une évolution des critères associés aux aides aux festivals est en réflexion. En vérité, cette manoeuvre du ministère de la Culture et du Centre national de la musique vise clairement à endiguer la hausse des cachets des artistes headliners.

La rémunération des artistes headliners programmés en festivals est un sujet à la fois clivant et tabou dans le music business. Et ce pour des raisons évidentes: la confidentialité des montants payés par les festivals aux artistes, la concurrence entre les artistes, ainsi que les stratégies d’attractivité et de rentabilité. Par définition, les intérêts respectifs des divers acteurs sont opposés. Les organisateurs de festivals doivent être à l’équilibre à défaut de parvenir à la rentabilité, les artistes souhaitent le meilleur cachet possible pour compenser le manque à gagner sur la musique enregistrée, les sociétés de production live ont pour objectif d’amortir leurs investissements, les agences de booking et les managers misent sur les festivals pour augmenter leur chiffre d’affaires.
Une augmentation incessante depuis plusieurs années
Les organisateurs de festivals s’accordent à dire que les cachets des artistes headliners (et même ceux des artistes intermédiaires) ont considérablement augmenté depuis 2018-2019, et ont littéralement explosé depuis la reprise des concerts et festivals en 2022. Ils estiment que ces cachets nuisent à l’équilibre et la rentabilité des festivals, et certains d’entre eux souhaiteraient même qu’ils soient en quelque sorte plafonnés.
Les artistes headliners ainsi que les sociétés de production et agences de booking qui finalisent les deals considèrent que les montants demandés sont justifiés, en raison des billets vendus par les organisateurs de festivals lorsqu’ils sont annoncés à la programmation, des sponsors attirés et des marques présentes, ainsi que des dépenses des festivaliers pour la restauration et les boissons.
Durant la crise sanitaire et économique, un accord officieux avait même été passé entre un certain nombre d’organisateurs de festivals et de producteurs live et agents pour ne pas trop augmenter les cachets des artistes headliners et des artistes intermédiaires. Mais à la reprise des concerts et festivals en 2022, les montants demandés et payés sont repartis à la hausse, pour compenser les pertes, garantir la rentabilité des entreprises, assurer des revenus conséquents aux artistes, ou encore obtenir l’exclusivité de certains headliners.
Accessibilité des festivals
Depuis la reprise, de nombreux organisateurs de festivals alertent sur l’inflation des coûts, notamment dans les domaines de la technique, la sécurité et la sûreté, ainsi que sur l’impact sur l’équilibre et la rentabilité de leurs activités. À présent, ils sont de plus en plus nombreux à évoquer de manière plus ou moins explicite et assumée que les cachets des artistes entrent aussi dans l’équation de l’inflation. Certains organisateurs de festivals majeurs plaident pour que les festivals restent accessibles pour tous les publics, avec des billets à prix raisonnables. Ce qui, de leur point de vue, nécessite d’enrayer la hausse des cachets des artistes, en particulier des headliners.
Néanmoins, en raison des intérêts respectifs des organisateurs de festivals, des artistes, des sociétés de production live, des agences de booking et des managers, un consensus s’avère impossible pour parvenir à un équilibre entre rentabilité, attractivité et accessibilité. À défaut d’un accord de filière, une des options restantes est donc la régulation. Rachida Dati a régulièrement affirmée être sensible aux difficultés rencontrées par les festivals et fait part de sa volonté qu’ils soient accompagnés et soutenus.
Régulation du marché
Et bien que le Gouvernement ne peut réguler le marché de manière directe, les aides attribuées par le ministère de la Culture et par le Centre national de la musique sont essentielles pour le financement festivals. C’est ce levier qui pourrait être actionné, par le biais d’une évolution des critères associés aux aides aux festivals.
Lors de sa venue au festival les Francofolies de La Rochelle, Rachida Dati a annoncé aux représentants des professionnels que des “propositions concrètes“ seraient prochainement formulées. “La réflexion portera notamment sur la façon dont les critères d’aide pourraient être adaptés, pour évaluer à la fois la place accordée aux artistes émergents ou peu médiatisés dans les programmations, et le degré de concentration des budgets artistiques sur un nombre restreint d’artistes à forte notoriété“ précise le ministère. L’objectif annoncé est “de mieux prendre en compte les pratiques vertueuses en matière de diversité artistique et de rémunération des artistes“.
En d’autres termes: les aides attribuées aux festivals par le Centre national de la musique et le ministère de la Culture pourraient être conditionnées, pour contraindre les organisateurs à limiter les dépenses relatives aux cachets des artistes headliners. Une évolution qui chamboulerait non seulement les négociations entre les organisateurs de festivals et les sociétés de production ainsi que les agences de booking et les managers représentant les artistes, mais également les choix de programmation des festivals.
Jason Moreau, Executive Editor, MUSICBIZ


