Olivier Darbois / Aurélien Binder / Malika Séguineau – PRODISS : « Une entreprise sur deux est menacée de faillite en 2021 »

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Olivier Darbois, Président du PRODISS (Syndicat du spectacle vivant musical et de variétés)

Producteurs, diffuseurs en région, exploitants de salles, festivals sont subissent le coup d’arrêt porté à l’économie, avec toujours autant d’incertitudes et d’interrogations sur la reprise de leurs activités et de leur secteur. Premier syndicat d’employeurs du secteur du spectacle vivant privé, le PRODISS, qui regroupe environ 400 adhérents, est en première ligne face à la crise et ses conséquences. Entretien avec Olivier Darbois, Président du PRODISS, Aurélien Binder, Vice-Président du Comité Salles, et Malika Séguineau, Directrice Générale.

CULTUREBIZ : Comment vivez-vous la crise depuis l’interdiction des évènements, la fermeture des lieux, et les reports et annulations de tous les concerts, tournées et festivals ? Que révèle la crise sanitaire et économique à propos de vos activités et de vos métiers ?

Olivier Darbois : Dès début mars, nous avons évalué l’ampleur de cette crise majeure, venue bousculer nos activités et nos métiers. Notre première demande a été d’avoir de la visibilité, avec des décrets qui précisaient la période durant laquelle nos activités étaient interdites et les jauges concernées. Les décrets étaient indispensables pour geler les accords commerciaux entre producteurs et salles ou producteurs et festivals.

Cette crise nous a aussi galvanisés au PRODISS. Le Bureau élu et l’équipe permanente se sont mis au travail immédiatement. Cela a aussi rapproché les quatre métiers et on a donné de l’attention immédiate, constante, dans l’analyse, les prises de décision et de positions. Nous nous sommes rassemblés pour y porter et y faire rayonner une solidarité, éteindre nos contrats et nos potentiels contentieux qui pourraient découler de la crise, mieux se faire entendre, ne pas s’exposer à produire de la casse économique exponentielle.

Aurélien Binder : plus de 80% de nos membres sont des TPE/PME, des entreprises majoritairement indépendantes, souvent sur un modèle très artisanal. Il y avait un niveau d’attente très fort, pour répondre et anticiper les impacts et conséquences des décrets. Nous avons fait un énorme travail de soutien quotidien juridique et économique auprès de nos 400 adhérents. Notre équipe permanente a été un lieu de ressources essentiel, et nous avons été aussi le relai auprès du Gouvernement pour rendre les dispositifs applicables au secteur (notamment l’activité partielle) et obtenir des mesures adaptées. Nous avons déployé tous nos moyens pour être présents dans cette période terrible et nous continuons à nous mobiliser.

Cette crise a permis d’exhumer l’interdépendance de nos 4 métiers, et la reconstruction basée sur cette interdépendance nous apparaissait évidente. Habituellement, les métiers ont des problématiques différentes, des enjeux particuliers et dans des crises systémiques, la solidarité reprend tout son sens. Le métier de diffuseur de spectacles en régions est lié au métier de producteur national, lui-même relié aux salles en cohabitation avec les festivals. Nous constituons un seul écosystème, c’est la grande leçon de cette crise. Il s’agit de maintenir toute la chaîne et de traverser l’épreuve ensemble.

« Nous sommes un écosystème d’une extrême fragilité, avec des marges proches de l’équilibre voire négatives »

Quels sont les grands enseignements de l’étude d’impact du COVID-19 sur le secteur du live réalisé par EY pour le PRODISS ?

Aurélien Binder : Nous sommes un écosystème d’une extrême fragilité, avec une réalité économique faite de marges proches de l’équilibre voire négatives basées sur la seule billetterie car nous reposons peu ou pas sur des subventions publiques (moins de 5% du CA global). Avec un impact de la crise sur notre chiffre d’affaires à fin 2020 estimé à 2,3 milliards d’euros, la majorité des acteurs ont très peu d’indices de solvabilité et donc une possibilité de tenir qui est très courte. Le grand enseignement de tout cela c’est que si rien n’est fait pour venir au secours du secteur avec un plan de sauvegarde ambitieux, pour pouvoir maintenir à flots les entreprises en état de survie économique, on a une probabilité d’une entreprise sur 2 qui pourrait faire faillite. Dans le même temps, il faut préparer la relance.

Olivier Darbois : Si, demain, nous ne sommes pas sauvés, le spectacle vivant ne redémarrera pas. De la dynamique du spectacle dépend tout un écosystème. Et au-delà, la richesse et l’attractivité des territoires dont les retombées économiques liées au spectacle disparaîtront. Si en 2021, nos entreprises ne sont plus debout, la casse sociale sera terrible avec du chômage total, et les 950 millions d’euros dédiés aux intermittents ne seront qu’un sursis !

Malika Séguineau : Le spectacle vivant constitue le cœur du réacteur. Il fait vivre de nombreux artistes, techniciens, prestataires. Ce moment de l’année est fort en activité, notamment avec la saison des festivals. De gros volumes d’activité, d’heures de travail et de droits d’auteur sont perdus. C’est 80% de notre chiffre d’affaires que nous ne ferons pas en 2020, même s’il y a une reprise en pointillés à l’automne. Il y a beaucoup d’incertitudes sur la reprise. L’étude confirme la fragilité des petites entreprises. Une entreprise sur deux est menacée de disparaître d’ici 2021. Et la crise sociale est inéluctable. Le secteur est le principal employeur du secteur, si nos entreprises disparaissent c’est autant d’emplois qui disparaitront. Parmi les membres du PRODISS, la situation actuelle met ainsi en risque 21 635 artistes et techniciens en régime d’intermittence, soit 76 % des emplois. A cela s’ajoutent plus de 4 100 emplois permanents menacés d’ici fin 2020, et 2 800 emplois supplémentaires en 2021 en cas de défaillances des entreprises. Au-delà des emplois du spectacle vivant privé, la perte d’activité affectera l’ensemble de l’écosystème qui en dépend (prestataires, fournisseurs, tourisme…). Pour 1 euro et 1 emploi Équivalent Temps Plein généré par le cœur de l’industrie, 1 euro et 1 ETP sont créés parmi les prestataires et au sein de l’économie touristique. Ce sont donc autant de catastrophes sociales en perspective, dans les territoires, avec le risque de la disparition du tissu culturel.

Les mesures et annonces du Gouvernement et du Centre National de la Musique sont-elles efficientes et suffisantes ? Le Président du CNM a précisé qu’il n’y avait pas de faillite d’entreprises dans le secteur.

Olivier Darbois : Dans le monde de l’entreprise, les faillites ne sont pas immédiates mais différées dans le temps. Le résultat, on le verra malheureusement dans 6 mois, et en 2021. Rien n’est sauvé aujourd’hui.

Avant tout, nous avons besoin que les pouvoirs publics comprennent nos métiers et leur fonctionnement. Les festivals sans les producteurs n’existent pas. Tant que l’interdépendance de ces métiers ne sera pas prise en compte, le spectacle vivant ne sera pas sauvé.

Les mesures transversales mises en place par l’État, notamment l’activité partielle ou l’exonération de cotisations patronales, sont nécessaires. Mais notre secteur n’a pas encore redémarré, les interdictions ne sont pas levées, les conditions sanitaires sont encore en discussion, alors nous demandons un soutien sur le temps long.

50 millions d’euros, c’est une première étape mais qui demeure insuffisante par rapport au marasme économique que nous allons traverser. Ce budget constitue une compensation de la taxe fiscale sur la billetterie de spectacles qui n’existera pas cette année (environ 35 millions d’euros). Nous espérons que le Centre National de la Musique a pris la mesure de l’impact sur nos entreprises et de la nécessité de ressources extra-sectorielles. Le PRODISS a toujours alerté sur la fragilité d’un financement reposant seulement sur une taxe affectée sur une activité. La crise peut constituer un accélérateur pour le financement du CNM d’autant que les pistes sont connues (taxe YouTube, GAFA, TOCE…).

Malika Séguineau : Les amortisseurs mis en place par l’État ont permis la mise en sommeil des entreprises depuis l’arrêt de l’activité mais ne les ont pas sauvées. C’est au moment de la reprise que tout se jouera, avec l’activité partielle, les reports de charges, et l’accès au Prêt garanti par l’État.

Aurélien Binder : Il faut un peu de réalisme économique vis-à-vis du Prêt garanti par l’État. On a l’impression que c’est la solution à tous nos maux, mais le PGE n’est ni plus ni moins qu’un endettement de nos sociétés. Nos entreprises travaillent à marge extrêmement réduite pour ne pas dire à marge négative. Cela donne une équation absolument anxiogène pour l’avenir où nos entreprises ne seront pas en capacité de répondre de leur endettement qui aura été créé pendant le COVID. Nous réfléchissons au PRODISS à renforcer les fonds propres des entreprises en difficulté.

« Une stratégie de reprise d’activité articulée selon des principes clairs : proportionnalité, adaptabilité et efficacité »

Pourquoi vos demandes sont-elles indispensables pour la relance de vos activités et de l’économie du secteur ? 

Malika Séguineau : Pour l’instant, nous sommes seulement en train de préparer la reprise, dans des conditions sanitaires compatibles avec notre modèle économique. Toutefois, nous avons formalisé plusieurs propositions : maintien de l’activité partielle jusqu’à la reprise, exonération de cotisations patronales, et renforcement du crédit d’impôt qui est un soutien essentiel à l’investissement dans la création. Nous demandons que soit revu son périmètre avec la réintégration des variétés, la bonification des taux et plafonds éligibles, et que son arrêt prévu en 2022 soit rallongé.

Puis nous contribuerons au futur plan de relance de l’économie afin de faire prendre en considération les spécificités sectorielles. Il s’agit pour nous de reconstruire, refonder et protéger nos entreprises.

Les entreprises représentées au PRODISS vont en effet afficher cette année 1,8 milliard de pertes de chiffre d’affaires pour 2020, soit une baisse de 84% et 176 millions de pertes nettes, soit 6 années de marges nettes de nos adhérents (en moyenne à 1,5% de leur CA, soit 30 M€ par an environ). Pour récupérer ces pertes, les entreprises devraient donc travailler pendant 6 ans, jusqu’en 2027, sans pouvoir investir.

Aurélien Binder : La reprise de l’activité de diffusion de spectacles ne peut se concevoir sans tenir compte des points d’équilibre entre risque économique et risque sanitaire. A titre d’exemple, l’hypothèse d’une jauge de salle descendue à 50% ne permet pas d’atteindre l’équilibre d’un spectacle. Il s’agit donc de penser une reprise d’activité selon un principe de progressivité pour nous conformer aux exigences de la politique nationale de prévention sanitaire, nous adapter à l’évolution de la situation épidémiologique, mais sans réduction des capacités d’accueil des salles. Il convient d’articuler une stratégie de reprise d’activité selon des principes clairs : proportionnalité, adaptabilité et efficacité. Nous menons un travail au sein du PRODISS pour aboutir à un plan de prévention sanitaire adapté. Il appartient aujourd’hui aux acteurs du secteur, en coordination avec le Gouvernement, de normaliser un risque exceptionnel. Pour éviter le risque de mesures « alibi », nous avons besoin de souplesse et d’adaptation, pour être en capacité de déployer la stratégie de prévention la plus efficace et la plus adaptée aux lieux exploités.

Nous ne prendrons pas de risque de déconfiner nos activités pour augmenter notre sinistralité dans le retour à l’activité. Notre risque serait multiplié par 5. Nous souhaitons une reprise, en jauge non-distanciée, à partir de 500 places et la capacité d’augmenter cette jauge de 500 places tous les 14 jours, de sorte à reprendre en septembre les places assises sans distanciation et avec le respect des gestes barrières.

Olivier Darbois : Le secteur attend donc en priorité trois annonces : déconfinement du spectacle sans distanciation, maintien du chômage partiel à taux plein jusqu’à la reprise totale, une aide structurelle massive de 250 millions d’euros au titre du plan de sauvegarde. Doper le crédit d’impôt spectacle en 2020 est également une urgence.

 

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