Philippe Gautier (SNAM-CGT): « L’accord sur la rémunération des artistes n’est pas applicable »

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La reprise des hostilités entre artistes-interprètes et producteurs est actée. Le contexte de timing restreint pour aboutir à un consensus, combiné aux divergences d’interprétation des conclusions et chiffres de l’étude menée par le cabinet BearingPoint, y sont pour beaucoup. La signature de l’accord intervenue le 6 juillet, instaurant une Garantie de rémunération minimale pour les artistes en contrepartie de l’exploitation des phonogrammes, n’a pas refermé le dossier. Les syndicats d’artistes-interprètes demandent la reprise immédiate des négociations pour obtenir de meilleures conditions. Philippe Gautier, Secrétaire Général du Syndicat National des Artistes-Musiciens (SNAM-CGT), détaille l’argumentaire et les intentions des syndicats d’artistes pour CultureBiz. Il s’explique également sur la stratégie employée pour améliorer le partage de la valeur, à contre-courant des positions de la Spedidam et de l’Adami.

CultureBiz : Pouvez-vous résumer, voire détailler, les chiffres adossés à vos demandes visant à obtenir une garantie de rémunération minimale pour les artistes-interprètes ?

Philippe Gautier : Nous demandions un taux net à deux chiffres. Et il y a au moins une catégorie dans laquelle nous n’avons pas réussi à l’obtenir. Mais l’accord ne porte pas que sur des chiffres, il y a aussi des modalités. D’où le fait que nous avons demandé la réouverture immédiate des négociations. Nous insistons sur la nécessité d’une rémunération dont la transparence doit être garantie en étant exprimée en net. Et pour cause, la question des abattements, qui sont contractuels, peut aller à l’encontre d’une garantie de rémunération minimale exprimée en brut. Si la loi définit un montant brut mais que le contrat définit librement les abattements, ce brut peut aboutir à annuler la garantie de rémunération. In fine, dans l’accord, il reste quelques chiffres bruts, mais il y a aussi du net. Il a fallu que l’on compose avec les réalités du secteur de l’édition phonographique.

Les producteurs soulignent le défaut de la rentabilité de la production de nouveautés et l’utilisent comme un argument.  Cette position vous paraît-elle justifiée ?

Les labels sont des entreprises et nous ne prenons pas les impératifs de rentabilité à la légère. Les producteurs sortent d’une crise énorme. Il ne s’agit pas de nier par principe ce type de réalité. En revanche, nous ne sommes pas du tout d’accord avec la non-rentabilité de la production qui est mise en évidence par l’étude BearingPoint. Si cette non-rentabilité était réelle, le secteur serait dans une grave crise économique avec des entreprises qui ferment et des suppressions de postes. Or les majors ont annoncé des bénéfices. Alors cette étude ne nous convainc pas. Il y a une zone d’ombre savamment entretenue, qui est le fond de catalogue. Les producteurs perdent certes de l’argent avec les nouveautés mais en gagnent notamment avec le back-catalogue.

« Un texte à contre-courant du principe même du partage de la valeur »

Pour quelles raisons avez-vous signé l’accord pour le dénoncer ensuite s’il n’était pas satisfaisant ?

Les négociateurs avaient un mandat pour signer un accord avec des ordres de grandeur et demander que les producteurs fassent un effort sur les chiffres. Or, quelques heures avant la date limite posée par la loi, les producteurs ont présenté un texte de trois pages, avec certains passages qui se sont révélés à contre-courant du principe même du partage de la valeur… Notre approche est de négocier pour arracher un droit effectif. La question se posera de savoir si on aura abouti à ce progrès. Je pense que si les négociations reprennent et aboutissent, cela sera un progrès pour les artistes-interprètes. D’autant qu’avec les renégociations périodiques parallèles à l’évolution des usages et des revenus du streaming – puisque le marché est en mutation – il ne s’agit pas d’un accord pour dix ans.

Quelles en sont les irrégularités, de votre point de vue ?

Les plus importantes portent sur l’avance, avec une garantie de rémunération minimale qui est posée en principe mais dont les effets peuvent être annulés par des dispositions contractuelles. Cela parait même non-conforme avec la loi. Il y a aussi le fait que la loi LCAP prévoit que les dispositions de garantie de rémunération minimale portent sur le streaming or l’accord est limité au streaming audio. Ce qui pourrait être une difficulté à l’avenir. Il n’y a pas d’accord entre les plateformes leaders du streaming vidéo et les producteurs, mais l’on peut imaginer que cela pourrait arriver au sujet des videomusiques, et l’accord signé avec les syndicats d’artistes-interprètes ne concerne que le streaming audio.

Avez-vous obtenu une garantie pour la une reprise des négociations de la part des producteurs ? Quand sera-t-elle effective ?

Nous sommes en train d’en discuter pour les convaincre que c’est la seule solution. La loi prévoit que le texte, une fois signé, doit passer par le Ministère du travail qui doit l’étendre. Mais l’on a d’emblée fait savoir qu’en cas de procédure d’extension, les confédérations s’y opposeraient puisqu’elles toutes ont annoncé retirer leurs signatures. L’accord signé le 6 juillet dernier instaurant une garantie de rémunération minimale pour les artistes-interprètes n’est pas applicable. Il est donc nécessaire de revenir autour de la table. A vrai dire, je pense que si l’on n’y arrive pas avant la fin du mois de juillet, cela va être difficile par la suite… Toutes les parties n’ont pas encore confirmé alors les discussions suivent leur cours. Nous souhaitons cette réouverture pour négocier un avenant et modifier certains points.

« Cesser les négociations et accords avec les producteurs serait rompre avec notre ligne depuis 15 ans »

L’arbitrage qui interviendrait à défaut d’un accord de branche est sans doute le scénario le moins pire pour la Spedidam et de l’Adami, qui considèrent que les tentatives de négociation ont été infructueuses ces dernières années. La Spedidam demande à Bruxelles d’obtenir la possibilité d’aller collecter directement auprès des plateformes de streaming une rémunération proportionnelle à l’exploitation des enregistrements. Elle souhaite aussi l’intervention du législateur pour instaurer une loi obligeant les producteurs à communiquer toutes les informations nécessaires à l’identification des œuvres. En quoi les syndicats d’artistes-interprètes n’ont-ils pas intérêt à ce que l’Etat reprenne la main, si cet accord a été « obtenu dans des conditions déplorables » ?

C’est une bonne question. Nous nous sommes engagés dans un processus d’accord depuis la mission Schwartz. La convention collective signée en 2008 est enfin stabilisée depuis l’arrêt de la Cour de Cassation du 17 mars 2017. Le principe d’une négociation sur les droits des artistes-interprètes revient bien aux syndicats et non aux SPRD. C’est un acquis de l’arrêt. Depuis des années, nous sommes dans une démarche d’aboutir à des accords avec les producteurs. Nous défendons une filière avec des entreprises et un partage de la valeur avec ces entreprises. Il est hors de question de changer de politique. Je suis convaincu qu’à moyen et long termes, le bilan de cette stratégie sera positif pour les artistes comme pour les artistes musiciens. Et cesser les négociations et les accords avec les producteurs pour s’en remettre à l’Etat, ce serait rompre avec notre ligne depuis 15 ans. Rappelons-nous que durant la période de 1994 à 2009 il n’existait aucune convention collective applicable suite à la dénonciation par les producteurs et que tous les musiciens étaient contraints à céder leurs droits sans aucun minimum garanti pour aucun mode d’exploitation. C’est bien par la négociation collective avec les producteurs que nous sommes sortis de cette situation. Nous ne voulons pas que les artistes soient dans un rapport conflictuel avec les producteurs, et c’est une autre raison pour rouvrir les négociations. La conformité de la garantie de rémunération minimale au regard des textes européens n’est pas discutable. L’on ne peut pas en dire autant d’autres solutions qui sont beaucoup plus hypothétiques, et dont la conformité avec le cadre européen reste à démontrer.

Dans la bataille de la valeur en ligne, la vision des syndicats d’artistes-interprètes diverge clairement de celle de la Spedidam et de l’Adami. Les artistes-interprètes ne sont-ils pas plus affaiblis par les divisions internes ?

C’est certain. La question de fond, qui est de dire qui est légitime à négocier au nom des artistes-interprètes, notamment sur leurs droits voisins, a été le nœud du conflit entre le SNAM et la Spedidam pendant plusieurs années. Cette question a été tranchée par l’arrêt de la Cour de Cassation. Il n’y a plus de débat. Les syndicats négocient et les sociétés civiles perçoivent, gèrent et distribuent. Tant que la Spedidam n’acceptera pas cet état de fait, le dialogue sera difficile. Les tribunaux ont tranché alors nous pouvons passer à autre chose. Au niveau international, la question se pose également de savoir quelles sont les prérogatives des SPRD et celles des syndicats. Nous avons la présomption de contrat de travail dans la musique enregistrée comme dans le spectacle vivant, qui ancre un pied des artistes-interprètes dans le droit de la propriété intellectuelle et un pied dans le droit du travail. Les artistes exercent le droit d’autoriser la fixation, reproduction, commercialisation de leurs interprétations en tant que salariés. Et quand on est en droit du travail l’on est représenté par les syndicats.

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