Serge Kancel : « Rendre compte des réalités économiques dans le paysage des festivals »

7
minutes
Serge Kancel, Référent permanent pour les festivals

Les professionnels du spectacle ont un nouvel interlocuteur privilégié. Serge Kancel est désormais le référent permanent pour les festivals. Une mission riche et intense, qui devrait rapidement prendre un positionnement clé auprès des politiques comme des acteurs de la filière compte tenu des multiples évolutions récentes et à venir dans l’écosystème des festivals. A quelques semaines de la remise de sa première synthèse à la Ministre de la Culture, Serge Kancel détaille les prérogatives de sa mission. Il en profite également pour rationaliser certaines positions hâtives. 

CULTUREBIZ : Pouvez-vous préciser vos principales interrogations pour aborder la veille économique des festivals de musiques actuelles ? 

Serge Kancel : Ces interrogations répondent aux objectifs de la lettre de mission que la Ministre de la culture m’a adressée. Il s’agit de rendre compte de la réalité économique dans le paysage des festivals, avec tous les bouleversements que cela sous-entend, et aussi de la réalité des sources de financement publiques. Récolter les informations est déjà un travail considérable en soi. Je m’applique à récolter le plus de données sur l’ensemble des financeurs publics (régions, départements, communes). Ce qui devrait permettre de mieux mesurer ce qu’il en est réellement du retrait supposé ici et là des collectivités. Les sources provenant des autres financeurs bien connus comme le CNV pour les musiques actuelles, le CNC pour les festivals de cinéma ou le CNL pour les salons du livre, et aussi celles des organismes de gestion collective (SACEM, SACD, ADAMI, SPEDIDAM etc.) font aussi partie de mon périmètre d’investigation. Tous ces acteurs ont certainement des approches différentes et il s’agit de les comprendre et surtout de voir comment elles se coordonnent et s’harmonisent du point de vue des festivals eux-mêmes. En tant que référent permanent, qui plus est avec un périmètre des festivals qui couvre l’ensemble des champs culturels bien au-delà des musiques actuelles, il m’est clairement demandé d’avoir des réflexions transversales. Certains dispositifs dans des secteurs comme le cinéma ou le livre pouvant être mis en regard de ce qui se fait dans les musiques actuelles par exemple. 

Certains observateurs membres d’institutions externes s’étonnent d’un manque flagrant de données dans les secteurs de la musique et du spectacle, alors que l’on connaît l’exemplarité du cinéma et de l’audiovisuel en la matière. Quelle est votre analyse à ce propos ? 

L’écosystème des festivals de musiques actuelles est complexe, et donc difficile à analyser, ne serait-ce qu’en raison du nombre de festivals. La question des données sur les secteurs de la musique renvoie au rôle de l’Observatoire de la musique placé au sein du Centre National des Variétés (CNV), dispositif qui va se développer dans les temps à venir en prenant le temps nécessaire pour consolider progressivement un socle de connaissances. Qui existe déjà. La mise en place de cette observation sous-entend la récolte, le traitement et la publication de données multiples, qui n’ont pas le même niveau de confidentialité et dont certaines sont stratégiques pour les acteurs. C’est une évidence que la musique est un secteur où il y a beaucoup moins de centralisation des informations et des données que le secteur du cinéma où le CNC a depuis longtemps centralisé les informations essentielles de la filière, sur lesquelles il fonde des analyses approfondies et suivies sur la durée. L’on devrait donc pouvoir constater une amélioration dans le champ des spectacles, y compris grâce au dispositif de remontée des informations sur les entrées des spectacles posé par la loi LCAP. 

Votre première synthèse est attendue avant l’été. Ce document sera-t-il surtout un panorama du paysage des festivals ou des premières recommandations pourraient déjà y figurer ? Les axes majeurs sont-ils prédéfinis ?

Cette mission étant permanente, elle a par définition vocation à s’inscrire dans la durée. Je pense que deux axes seront privilégiés dans cette première synthèse. D’une part, l’aspect de veille économique me paraît important. Il me semble impératif de partir d’une base d’informations exhaustive sur la réalité de l’accompagnement des festivals par le ministère de la culture et par les autres collectivités publiques. Savoir déjà ce qui se fait. Au-delà, je vais tenter une centralisation aussi large que possible des données existantes sur la réalité économique foisonnante des quelques milliers de festivals existants, quitte, pourquoi pas, à la rendre au moins partiellement accessible en ligne. D’autre part, en parallèle de l’aspect de l’observation, la lettre de mission de la Ministre me demande de m’intéresser aux phénomènes de concentration dans le champ des festivals, notamment de musiques actuelles. 

« La contribution des festivals à l’économie est un sujet qui mérite aussi d’être approfondi » 

Les pouvoirs publics s’expriment davantage sur le besoin de réguler le secteur, en révisant les critères d’attribution des subventions et en apportant des solutions aux phénomènes de concentration, que sur la nécessité d’une politique de soutien adéquate à sa contribution à l’économie. Est-ce dû à un manque de données objectives en la matière et n’avez-vous pas un rôle à jouer pour équilibrer la balance ? 

Je ne pense pas que l’on puisse dire que les pouvoirs publics, et en particulier le Ministère de la Culture, souhaitent « réguler » les festivals. La régulation dans les secteurs culturels est un sujet complexe et les approches ont pu d’ailleurs évoluer ces dernières années à cet égard. Il n’est pas évident que les décideurs publics aient à intervenir sur les achats entre entreprises privées, mais il m’est effectivement demandé de faire un état des lieux des phénomènes de concentration. Ma lettre de mission mentionne également une réflexion sur l’accompagnement des festivals par la puissance publique. Il s’agit d’interroger les critères d’attribution de financements publics et aussi de faire un état des éventuels dispositifs complémentaires qui ne seraient pas des subventions. 

La contribution des festivals à l’économie est un sujet qui mérite aussi d’être approfondi. Un rapport de 2013 sur « l’apport de la culture à l’économie en France », auquel j’avais participé avec deux membres de l’Inspection des finances, rappelait, sur la base d’études récentes très précises en termes de méthodologie, que les festivals ont effectivement des retombées importantes sus les économies locales mais qu’en même temps, les données les plus fantaisistes et les plus fantasmagoriques pouvaient circuler et biaiser une approche objective des choses : approche objective qui suppose par exemple de définir un territoire d’analyse précis et de déterminer la réalité de l’apport spécifique du festival dans les dépenses touristiques des visiteurs. C’est sur ce genre de bases solides que les élus doivent pouvoir s’appuyer pour prendre des décisions de soutien aux festivals, alors que ce serait le plus mauvais service à rendre au secteur que d’affirmer qu’il suffit de créer un festival sur un territoire pour que l’économie redémarre. 

Au-delà du fait de mener une veille, serez-vous attentif aux enjeux qui préoccupent les professionnels tels que la sûreté, le marché noir, ou encore le crédit d’impôt ? Avez-vous l’intention d’être un point de relais de leurs demandes auprès du Ministère et de faire des préconisations pour tout le secteur ? 

C’est exactement à prendre en considération tous les champs possibles que peut et doit servir à mon sens un référent pour les festivals au sein du Ministère de la Culture. Mais je n’interviens pas sur un terrain vierge, les questions de sécurité ou de crédit d’impôt sont suivies attentivement par les directions d’administration centrale du ministère et par les établissements publics qui prolongent son action comme le CNV, le CNC ou le CNL. Mais c’est bien mon rôle, en tant qu’interlocuteur, de faire remonter toutes les interrogations, demandes et propositions émanant des représentants aussi bien des professionnels que des collectivités territoriales. En tant que référent, mon rôle est vraiment de mutualiser les réflexions et les discussions pour en tirer des pistes et les expertiser. Tous ces sujets rentrent donc dans mon périmètre.

Partager cet article