Streaming : l’attractivité des offres essentielle à l’accélération de la croissance des abonnements payants

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L’année 2018 a marqué un changement d’ère pour le marché français de la musique enregistrée. Le streaming a pour la première fois réalisé 51% du chiffre d’affaires. Les résultats du premier trimestre de l’année 2019 s’inscrivent dans la même ligne avec une hausse de 12%, tirée une fois par la locomotive du streaming. Pérennisation de la croissance du marché et progression du nombre d’abonnés payants vont mécaniquement de pair. En vue de l’accompagner voire de l’impulser, les acteurs de l’industrie musicale made in France travaillent à améliorer l’attractivité des offres premium.

Un peu moins de 6 millions de français seront abonnés aux offres payantes des plateformes de streaming musical d’ici à fin 2019. Le chiffre a son importance sur un marché où le physique est encore bien ancré dans les habitudes de consommation avec, en plus de la résistance du CD, une croissance fulgurante du vinyle. La musique est d’ailleurs le premier loisir culturel des français et l’on connait également leur appétence pour les concerts et festivals dont la fréquentation globale est en constante croissance. Mais en comparaison avec ses voisins européens leaders, la France est en retard dans sa transition vers le streaming. Le taux de pénétration du streaming en France est tout juste au-dessus des 10% et reste très inférieur à celui du Royaume-Uni et de l’Allemagne. Le baromètre « MUSICUSAGES » réalisé par l’institut GFK pour le compte du Syndicat National de l’Edition Phonographique (SNEP) apporte un certain nombre d’indicateurs permettant de mieux comprendre l’état de la consommation du streaming en France. L’une des informations majeures à retenir sur l’état de la consommation de la musique en ligne en France est sa nette progression en cinq ans. Entre 2014 et 2018, le nombre de streams toutes plateformes confondues a été multiplié par cinq, passant de 12 à 57 milliards. La courbe des abonnements payants suit celle des volumes d’écoutes puisqu’elle est passée d’1,4 à 5,5 millions sur la même période. Ces chiffres illustrent bien la percée progressive du streaming payant dans les habitudes des consommateurs.

46% des abonnés payants ont moins de 35 ans

Le streaming audio est actuellement le 2ème mode d’écoute de la musique en termes de durée avec un total de 5h26, derrière la radio (5h41). 44% des consommateurs de musique en streaming écoutent de la musique tous les jours et le chiffre grimpe à 69% au sein des abonnés payants. La popularité du streaming progresse auprès de tous les publics mais à des rythmes différents. Les moins de 35 ans représentent certes 46% de l’ensemble des abonnés payants aux plateformes, mais les utilisateurs âgés de 35 à 54 ans comptent tout de même pour 29% des abonnés payants. D’après le baromètre publié par le SNEP et réalisé sur la base d’un panel de 3 500 consommateurs, le streaming serait le principal mode d’écoute de la musique pour 35% des français et il est plébiscité comme tel auprès de 70% des 16 à 24 ans. Sans surprise, les 16 à 34 ans composent la tranche majoritaire parmi les abonnés payants. Pas moins de 39% des consommateurs de 16 à 24 ans ont un abonnement payant et 61% d’entre eux des comptes gratuits. Le rapport est de 34% contre 66% pour les 25 à 34 ans. En revanche, le chiffre correspondant à la part des abonnés payants tombe à 23% chez les 45 à 54 ans et à 16% chez les 55 à 64 ans. Autant de disparités qui mettent en exergue la marge de progression restant à parcourir pour que le streaming devienne, sur le marché français, un mode de consommation dit de masse.

27% d’abonnés payants

Sur la totalité des consommateurs de musique en streaming audio, seulement 27% ont un abonnement premium. L’offre en la matière est pourtant abondante avec, pour les services les plus identifiés, Deezer et Spotify, suivis par Apple Music pour les inconditionnels de la marque, peu à peu Amazon Music liée à la plateforme e-commerce, Qobuz et Tidal pour les mélomanes exigeants en termes de qualité sonore. Mais accessibilité et attractivité obligent, YouTube écrase véritablement les autres plateformes en tant que première plateforme d’écoute en ligne de la musique. La plateforme de Google est le premier service utilisé par 98% des consommateurs, contre 42% pour Deezer et 36% pour Spotify. La popularité de YouTube n’est pas surprenante. Les labels et les artistes investissent plusieurs milliers d’euros voire plusieurs dizaines de milliers d’euros sur les clips. Ce sont aujourd’hui et plus que jamais des outils indispensables à la promotion des titres et des albums à l’ère du streaming. Les clips sont aussi de véritables plateformes de visibilité pour les marques et les partenariats de brand-content conclus entre les labels et les marques en tous genres permettent une source de revenus complémentaire. Mais il faut le dire, le fait que moins de 50% des consommateurs utilisent Deezer ou Spotify comme premier outil d’écoute de la musique traduit un taux de conversion des utilisateurs des plateformes vers les offres payantes qui reste nettement à faire croître.

La dépense et la concurrence, principaux freins aux souscriptions d’abonnement

Les raisons de la lente progression du streaming payant sont multiples. L’évolution de la consommation de la musique vers le dématérialisé a certes lourdement été captée par le piratage il y a quinze ans, et les pratiques illicites restent très répandues du fait du stream ripping qui consiste à permettre le téléchargement en MP3 de titres initialement mis en ligne sur les plateformes légales. Mais le consentement à payer pour la musique est actuellement l’un des principaux freins de la croissance des souscriptions d’abonnements. YouTube est massivement utilisé par les consommateurs parce que la plateforme est identifiée par tous, rapide et facile d’accès, et surtout… gratuite. Le baromètre « MUSICUSAGES » publié par le SNEP confirme d’ailleurs que le coût est « le principal frein à la souscription à l’abonnement payant ». 50% des interrogés ont déclaré ne pas avoir l’intention de souscrire à un abonnement payant sur une plateforme de streaming musical. Et parmi eux, les 2/3 le justifient par la dépense mensuelle occasionnée. C’est aussi le premier motif avancé par ceux qui n’ont pas encore souscrit à une offre premium mais qui en ont l’intention. Autre frein, la concurrence des autres offres que le streaming payant. En clair, le fait que beaucoup de consommateurs aient un abonnement à Netflix ne les incite pas à passer d’un abonnement gratuit à un abonnement payant pour la musique. C’est particulièrement vrai pour ceux qui ont l’intention de souscrire puisqu’il s’agit aussi du premier motif avec la dépense occasionnée (36%). L’attractivité des offres premium proposées par les plateformes se doit donc se progresser. Ce qui engendre nécessairement une révision de la grille tarifaire des plateformes. Reste à savoir en quel sens. Dès le début de l’année 2019, le SNEP s’est dit favorable à une grille tarifaire étoffée avec des offres plus segmentées notamment pour les familles et les étudiants. Deezer a par la voix de son Directeur Général Alexis de Gemini confirmé vouloir travailler avec les producteurs pour améliorer la visibilité et la lisibilité de l’offre, éventuellement par le biais d’une grande campagne nationale. Pour l’heure, le consensus des labels et des plateformes à travailler ensemble n’a pas encore produit d’initiatives ou de solutions communes.

Nouveaux clients et conversion des abonnés gratuits

Les plateformes travaillent à faire croître leurs contingents d’abonnés. Les campagnes marketing se sont multipliées ces derniers mois pour séduire davantage de nouveaux clients. Les plateformes américaines Amazon Music et YouTube Music, nettement en retard sur Deezer et Spotify du fait de leur arrivée récente en France, s’attèlent à gagner en visibilité avec des affiches grands formats à Paris notamment. Amazon Music France a fait bénéficier ses membres prime d’une offre à 0,99 euro pour quatre mois d’abonnement. En en parallèle, la plateforme classée 5ème sur le marché en termes de fréquentation, a mené des opérations sur les réseaux sociaux avec des artistes urbains comme Maitre Gims et Vegedream qui se sont filmés en train d’utiliser l’application notamment via la commande vocale. YouTube Music a fait appel à Black M pour inciter ses fans à écouter son tout nouvel album sur l’application. Pour défendre leurs parts de marché, Spotify et Deezer misent sur l’originalité. Spotify a annoncé en septembre produire ses premiers concerts, « PVNCHLNRS LIVE » du nom de sa célèbre playlist aux 900 000 abonnés, les 28 février et 5 mars prochains à Marseille et à Paris. De son côté, le leader français Deezer développe aussi sa production de contenus originaux avec une seconde édition de sa mixtape « La relève » dévoilée courant octobre et réunissant douze artistes urbains de la nouvelle génération. Une opération complémentaire à celle destinée au grand public visant à offrir trois mois d’abonnement pour tout achat d’un casque, d’une enceinte ou d’un mobile à la FNAC. Spotify, Deezer et YouTube Music poursuivent donc un objectif commun qui est de séduire et surtout convertir davantage de clients utilisateurs du gratuit vers le premium. Les publics jeunes et fans de rap ne sont pas les seuls ciblés. La récente mise en ligne du catalogue de Goldman sur les plateformes de streaming est aussi un exemple des efforts de l’industrie pour à la fois inciter les consommateurs de plus de 40 ans à écouter le back-catalogue en streaming mais aussi pour fidéliser ces publics qui ont une durée d’écoute moins importante que les plus jeunes. Il faut dire que le streaming s’impose beaucoup moins chez les 45 ans et plus, 25% d’entre eux l’utilisent comme principal outil d’écoute de la musique contre 51% des 25/34 et 37% des 35/44 ans. Et l’écart entre abonnements gratuits et payants est encore plus important chez les 45 à 54 ans et les 55 à 64 ans. Au-delà de la problématique du consentement à payer, la faible conversion des abonnés vers le streaming peut également s’expliquer par l’attractivité des offres gratuites proposées par Deezer et Spotify. Les utilisateurs peuvent écouter gratuitement les titres en contrepartie de publicités insérées entre les morceaux. 39% des consommateurs souscrivant à un abonnement payant invoquent l’absence de publicité comme raison première. Pour autant, 28% de ceux qui ont l’intention de prendre un abonnement payant déclarent que c’est parce que la publicité ne les dérange pas qu’ils n’y ont pas encore souscrit. Et 17% des utilisateurs qui n’ont pas l’intention de payer pour un abonnement précisent que la publicité ne les dérange pas. Tout l’enjeu pour les plateformes Deezer et Spotify est de trouver l’équilibre entre l’attractivité de leurs offres gratuites pour attirer de nouveaux clients et leur inconfort pour les convertir en abonnés payants. Ce qui se traduit également par une palette d’offres premium toujours plus qualitative pour enrichir l’expérience des consommateurs prêts à payer pour la musique.

 

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