Daniel Colling : « MaMA se démarque par sa capacité à réunir tous les acteurs et les métiers de la filière musicale »

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Daniel Colling, Gérant du MaMA

En 2009, Daniel Colling, producteur de spectacles, fondateur du Printemps de Bourges et créateur du concept des Zénith faisait le pari de doter les secteurs de la musique et du live d’une plateforme d’exposition pour les artistes, les projets et les idées, en rassemblant tous les métiers et des professionnels de tous horizons. Le MaMA est maintenant l’évènement le plus important de la filière musicale en France avec environ 6 000 professionnels. Un lieu clé pour les prises de parole et les échanges au sein de la filière, un point de rencontres important pour l’activité du secteur. Son Gérant, Daniel Colling en détaille le positionnement et la valeur ajoutée dans un entretien à CULTUREBIZ. L’entrepreneur officiant depuis cinquante ans dans le live expose également sa vision sur l’évolution du secteur, partage son regard sur l’ambition politique et s’exprime sur la réglementation sonore.

CULTUREBIZ : Quelle place occupe MaMA dans l’écosystème de la musique et des évènements dédiés aux professionnels, dix ans après sa création et en quoi se démarque-t-il ?

Daniel Colling : Parlons avant tout de l’identité de la manifestation. MaMA avait, dès sa création en 2009 à Bourges, puis lors de son installation à Paris, la volonté de réunir l’ensemble de la filière musicale : de l’artiste aux diffuseurs et plateformes, en passant par le producteur de musique enregistrée, le booker, le producteur de spectacles ou encore l’éditeur. Cette ambition de mettre la filière en rapport avec elle-même n’existait pas en France alors que des évènements similaires sont bien installés en Europe comme Eurosonic aux Pays-Bas ou le Reeperbahn en Allemagne. En France nous avons de nombreuses organisations professionnelles, beaucoup de réunions, de commissions, d’évènements, de rendez-vous, mais tout est très sectorisé. MaMA ne s’est pas isolé dans le dialogue franco-français puisque nous avons tenu à nous ouvrir à l’international avec un certain nombre de rendez-vous durant les trois jours. Les conférences ont progressivement été internationalisées, ce qui a permis à la manifestation de devenir une référence pour les prises de parole.

La partie festival de MaMA est une exposition d’artistes avant tout destinée aux professionnels pour favoriser les échanges et le business. Cependant, pour que les spectacles restent un moment convivial et interactif, les concerts sont ouverts au public.

A la différence d’autres évènements tels que le Midem ou les BIS de Nantes, MaMA ne se positionne pas uniquement comme un marché, quand bien même les professionnels viennent, entre autres, pour y faire du business. Nous n’avons par exemple pas de « stands » à louer, hormis ceux des organismes professionnels partenaires et ceux rassemblés sur l’espace innovation – MaMA Invent, organisé en partenariat avec l’IRMA – et qui permettent aux start-ups de présenter leurs solutions novatrices.

En dix ans, la participation au MaMA est passée de 1 500 à 6 000 professionnels venus de France et du monde entier (54 pays représentés en 2018). Un développement qui se ressent aussi sur le nombre de lieux investis et sur l’étendue temporelle de la manifestation (1 à 3 jours). MaMA se démarque par sa capacité à réunir tous les acteurs et tous les métiers de la filière musicale.

Mais le succès de MaMA n’est pas lié uniquement à ses chiffres de fréquentation, mais bel et bien par ce qui s’y passe réellement. Des affaires s’y font et des relations s’y établissent. Pour être en contact permanent avec les acteurs clés du spectacle vivant et, en particulier, avec les sociétés de production, je sais que tous les principaux producteurs de live sont à MaMA. Plus généralement, le succès de MaMA c’est aussi d’avoir su attirer les professionnels internationaux (30% de nos accrédités) et les professionnels français basés en régions.

« Nous pensons pouvoir encore progresser en quantité de public et d’activités, mais trouver de nouveaux financements est indispensable »

Pouvez-vous détailler les principaux indicateurs de l’évènement en termes de budget et de financement ainsi que les principaux postes de dépenses ?

Le budget global a progressivement augmenté ces dernières années pour atteindre en 2019 1,4 million d’euros. Les recettes propres, composées des accréditations pros et de la billetterie publique, ne représentent que 36%. Les subventions de la Mairie de Paris, de la Région Île-de-France, de l’État et de l’Institut Français interviennent à hauteur de 23%. En outre et fort heureusement, nous avons le soutien de tous les principaux organismes de la filière : la Sacem, le CNV, le FCM, la SCPP, l’Adami, la SPEDIDAM, le PRODISS, et la SPPF pour un total de 430 000 euros. Enfin, les partenariats privés représentent quant à eux 8%.

Il est important de souligner que nous ne sommes pas dans une logique marchande et que nous n’avons pas d’objectif purement commercial. L’ambition de départ était de mettre en place et de développer une manifestation de communication pour la filière et que la filière contribue à la financer.

La location des salles, les frais techniques, les frais d’activité, la communication ainsi que les frais de commercialisation font partie des postes de dépenses les plus importants.

Comment s’articulent vos principales orientations ?

Nous pensons pouvoir encore progresser en quantité de public et d’activités, mais il reste à savoir comment. Cela va dépendre à la fois de l’activité du secteur et de son besoin de communiquer et de débattre. En termes de format, nous avons atteint notre vitesse de croisière et n’avons pas,  par conséquent, de grands objectifs de changement. Néanmoins, nous n’excluons pas d’ajouter un 4ème jour dans deux ou trois ans. Mais la force de MaMA repose essentiellement sur l’accessibilité des professionnels et la facilité qui leur est offerte de se rencontrer. Or le risque de grandir encore pourrait faire du MaMA un évènement où les professionnels ne se croisent plus spontanément.

En termes de financements, le développement de la partie sponsoring est une priorité. Trouver de nouveaux financements est indispensable pour poursuivre le développement de MaMA. Mais il faut admettre qu’il n’est pas simple de multiplier les accords de sponsoring sur cet évènement qui, malgré sa partie festival ouvert au grand public, est avant tout identifié comme un évènement B2B. Nous faisons avant tout de l’exposition d’artistes à promouvoir, ce qui exclut par définition les artistes « vedettes », plus attractifs pour des acteurs privés.

« Plus il y aura de l’image et plus les publics rechercheront la réalité directe du live »

Le secteur du live a beau être en bonne santé, la rentabilité des entreprises est encore relativement faible. On est pleinement dans une économie de l’attention vis-à-vis du public avec les réseaux sociaux ou les plateformes SVOD. Est-ce que vous, qui avez commencé à produire des spectacles en 1970, entrevoyez un futur prospère pour le secteur ?

Nous sommes l’un des pays qui compte le plus de lieux dédiés aux salles de musiques populaires. Est-ce que les publics vont être plus absorbés par la vidéo et les plateformes que par le spectacle ? Cela reste à voir. A vrai dire, je suis convaincu que plus il y aura de l’image et plus les publics rechercheront la réalité directe du « live ». Quand on étudie la progression de la fréquentation des spectacles depuis les années 50, malgré l’augmentation colossale des chaînes de télévision, des salles de cinéma ou des radios, la présence du public dans les salles n’a fait qu’augmenter et pour autant les plateformes attirent toujours plus d’internautes.

L’offre de tout ce qui est « virtuel » a explosé. Pourtant, sans être sociologue, j’observe que plus on a une relation à l’écran, et plus on éprouve le besoin de retrouver l’émotion de la réalité. C’est aussi vrai dans le sport. Le spectacle vivant est une sorte d’acte social. On y vient pour être ensemble, en famille, en couple, entre amis.

L’ambition politique est-elle suffisante vis-à-vis du secteur du spectacle ?

Il y aura toujours des professionnels pour dire et dénoncer le fait que les pouvoirs publics donnent plus aux musiques classiques qu’aux musiques actuelles. Mais il faut rappeler que la France est l’un des rares pays où l’on donne autant aux musiques populaires ! C’est le cas sous différentes formes, et peu nombreux sont les pays qui ont créé autant d’infrastructures pour recevoir les artistes et les publics. Beaucoup de festivals perçoivent aussi des subventions. Les collectivités ont moins de moyens qu’il y a dix, quinze et vingt ans, alors elles resserrent naturellement les budgets, mais cela ne concerne pas exclusivement le secteur de la musique.

« L’arrivée de nouvelles salles risque de faire baisser la fréquentation des salles historiques »

Comment se portent les activités des Zénith de Paris, Nantes et Toulouse, en termes de fréquentation ? L’arrivée de nouvelles salles à Paris et dans les provinces fait-elle planer un risque pour les salles historiques ?

Les Zénith se portent heureusement bien. Un Zénith a d’autant plus de fréquentation quand il est dans une zone très dense. Le Zénith de Toulouse, doté d’une capacité de 11 000 places, est situé dans l’une des plus grandes régions de France. Depuis que j’ai repris l’exploitation de cette salle il y a deux ans, nous avons fait monter le nombre de spectateurs annuels à 400 000, un chiffre qui n’avait jamais été réalisé en vingt ans. Le Zénith de Nantes a attiré 400 000 spectateurs en 2018, et le Zénith de Paris environ 700 000. La courbe de fréquentation des Zénith illustre bien la hausse de la fréquentation du spectacle vivant. Même si elle est grignotée par les festivals à partir du mois d’avril. Il y a aussi des aléas et des changements d’année en année. Les tournées d’artistes à forte audience influent mécaniquement sur la fréquentation des Zénith.

Les salles se sont aussi multipliées ces dernières années à Paris. Pendant longtemps, l’Olympia, le Palais des Sports, Bercy et le Zénith se partageaient les publics par capacité d’accueil. Aujourd’hui, il y a la Salle Pleyel, la Défense Arena, la Scène Musicale, et deux nouvelles salles sont prévues dans le nord de Paris, une salle de 1 500 places, et une autre de 8 000 places, construite pour les Jeux Olympiques de 2024 par la ville de Paris. Plus il y a de nouvelles salles et plus le marché se fragmente, ce qui risque de faire baisser le nombre de spectacles, la fréquentation et le chiffre d’affaires des salles historiques. Mais du point de vue des artistes et des producteurs, avoir un choix plus large du nombre de salles est un vrai plus.

« Lorsque l’on exploite une salle, on a une responsabilité vis-à-vis du public en matière de sécurité et de santé publique »

Comment percevez-vous la nouvelle réglementation sonore qui s’applique aux professionnels du spectacle depuis octobre 2019 ?

Le moins que l’on puisse dire est que je suis particulièrement concerné, le Zénith de Paris ayant été condamné en 2017 et 2018. Le Zénith a été condamné pour nuisance sonore auprès des riverains. Nous venons d’ailleurs d’achever quatre mois de travaux pour mieux isoler le Zénith de Paris. En revanche, nous avons toujours respecté la réglementation concernant la projection sonore aux spectateurs. Lorsque l’on exploite une salle, on a une responsabilité vis-à-vis du public en matière de sécurité et de santé publique. Il convient donc de distinguer nuisance au voisinage et nuisance sonore dirigée vers les spectateurs.

Je pense qu’il est important d’encadrer ces pratiques. Les musiques sont devenues plus chargées en fréquences basse et infrabasses et ce sont ces infrabasses qui sont nuisibles. Il faut distinguer le fond du problème des lacunes dans la rédaction du décret. Le rôle de l’État est de s’occuper de la santé publique et il n’y a aucune raison que le spectacle vivant y échappe. Gagner en qualité de vie, c’est aussi encadrer la réglementation sonore.  

En tant qu’exploitants de salles Zénith, nous n’avons pas en charge le respect des normes en la matière, ce sont les producteurs à qui nous louons les salles qui sont responsables. Nous leur demandons dans tous nos contrats de respecter les réglementations et à défaut des pénalités sont prévues. On met à leur disposition des appareils pour mesurer l’intensité du son à plusieurs endroits de la salle. Sur la quinzaine de producteurs avec qui nous travaillons régulièrement toute l’année, la moitié sont des français et respectent facilement les normes. C’est un peu moins facile avec les anglo-saxons.

 

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