Les succès en série d’artistes indés ou en autoproduction confirment la place prépondérante qu’a pris la production indépendante ces dernières années. L’élection du nouveau Président du SNEP, premier syndicat de producteurs avec entre autres les trois majors parmi ses adhérents, est une forme de reconnaissance supplémentaire de la contribution de la production indépendante à la vitalité du secteur de la musique. Dans une interview à CULTUREBIZ, Bertrand Burgalat, fondateur du label Tricatel, résume les priorités qui convergent avec la relance de l’activité des producteurs et le développement du marché de la musique enregistrée.
CULTUREBIZ : Quelles sont les motivations et les priorités qui vous animent en tant que nouveau Président du SNEP ?
Bertrand Burgalat : Les motivations sont à peu près les mêmes que celles qui m’ont conduit à m’engager à l’UPFI (Union des producteurs phonographiques français indépendants) puis au SNEP : le désir d’être utile, d’essayer de dépasser mes problématiques personnelles, de sortir de la position infantilisante de l’artiste dans sa tour d’ivoire. La permutation de nos titres avec Olivier Nusse est d’abord de l’ordre du symbole, elle ne change rien à l’action et à l’apport de chacun, et celui d’Olivier est considérable, mais elle prolonge le travail remarquable du SNEP ces dernières années en direction des labels indépendants et le dialogue entrepris avec les autres organisations de producteurs et l’industrie musicale en général. En tant que Président du SNEP, mon objectif principal est de tout mettre en œuvre pour que les producteurs continuent d’investir, et que nous permettions l’expression et l’émergence du talent, alors que les obstacles n’ont jamais été aussi nombreux.
« Le secteur de la musique enregistrée a fait preuve de sang-froid, d’esprit collectif et de civisme »
Pouvez-vous résumer les indicateurs de l’état du marché de la musique enregistrée et les impacts à court-terme à venir qui retiennent votre attention ?
Si le streaming permet aux ventes de se maintenir depuis le début de l’année, cette apparente stabilité masque des disparités importantes. Les CD et les vinyles, qui représentaient 37% des ventes en 2019, sont en repli marqué au premier semestre. Et bien que les signes de reprise de la consommation soient encourageants, c’est un choc éprouvant pour les labels et les répertoires qui sont en cours de transition vers le numérique et qui dépendent encore fortement du support physique.
Par ailleurs, les droits voisins devraient chuter de 25% en 2020. Ce sont des revenus structurants pour les producteurs puisque contrairement au chiffre d’affaires, ils participent directement aux résultats de l’entreprise.
Quels que soient les résultats ils sont loin de refléter la place de la musique enregistrée dans nos sociétés. Supprimez-la une journée des restaurants, des publicités, du cinéma, des radios, des écrans, des magasins, des voitures, des ordinateurs et vous verrez qu’il nous reste beaucoup à faire pour que la musique, et ceux qui la font, soit rémunérée à la hauteur de son apport réel.
Le secteur de la musique enregistrée a fait preuve de sang-froid, d’esprit collectif et de civisme. Nous avons considéré que d’autres, et notamment nos partenaires du spectacle, devaient passer avant nous et que nous devions éviter au maximum le chômage partiel. Mais au moment où nous pourrions retrouver les perspectives encourageantes qui se dessinaient avant le mois de mars, de nouvelles calamités apparaissent : l’arrêt de la CJUE sur les « irrépartissables juridiques » vient s’ajouter à l’effet COVID et bouleverse le système vertueux d’aide à la création qui existait jusqu’à présent.
Où se positionne le label Tricatel dans l’écosystème et quelle en est la prochaine orientation ?
Tricatel existe depuis 25 ans, c’est une structure artisanale qui entend le rester, un instrument de travail qui me permet de donner vie à des projets difficiles et à des artistes singuliers que j’admire de s’exprimer. Nous considérons que notre rôle est de compléter celui des grandes structures, de faire ce qu’elles ne peuvent pas faire. Nous avons d’ailleurs vocation à devenir une Entreprise à mission, comme la loi Pacte le prévoit. Cette particularité a tendance à me rendre très compréhensif à l’égard des autres composantes de notre écosystème, car je suis à la fois compositeur, musicien, producteur, éditeur, etc. mais mon relatif désintéressement me rend aussi particulièrement imperméable aux grandes leçons, d’où qu’elles viennent, lorsqu’aucun engagement personnel concret ne les légitime.
« Les intérêts particuliers ne doivent pas primer sur l’intérêt commun de la filière qui est de repartir de l’avant »
Que pensez-vous du plan de relance présenté par le Gouvernement et des autres mesures de soutien aux entreprises dont le renforcement du crédit d’impôt ?
Pendant la crise, l’État a déployé des moyens importants notamment sur des prêts garantis. Je ne suis pas sûr que le modèle de l’endettement corresponde aux besoins de nos entreprises, et notamment des plus fragiles. Cela rappelle l’époque où on répondait au chômage de masse par les crédits à la consommation, il ne faudrait pas que la BPI devienne le Cetelem de la musique. Dans le cadre du plan de relance, nous ne demandons pas à être tenus par la main mais nous avons besoin de mécanismes d’incitation à l’investissement simples, justes et sans risques d’arbitraire. L’important c’est de pouvoir produire et créer des œuvres, les diffuser aussi : ainsi, pendant le confinement, la VPC (vente par correspondance) des labels a souffert de la désorganisation de la Poste. Il ne sert à rien de s’en prendre à Amazon si nous ne pouvons pas envoyer des disques sans passer par cette plateforme.
Mais avec le crédit d’impôt, qui est à la fois très objectif et exempt de tout effet d’aubaine, l’État fait aussi la démonstration de son efficacité. Le Premier Ministre ne s’y est pas trompé en s’engageant à le prolonger jusqu’en 2024. Nous sommes une des activités productives qui coûtent le moins à la collectivité et lui rapportent le plus. Pour cette raison et bien que le combat soit impossible, nous allons continuer avec le SNEP à défendre l’idée que le moment est venu de donner un nouvel élan au crédit d’impôt pour miser sur le potentiel de nos artistes. Dans la même logique, le renforcement du crédit d’impôt spectacle vivant ou la mise en place d’un mécanisme comparable pour les éditeurs de musique profiteraient à tout l’écosystème musical et à l’État lui-même.
L’autre grande annonce du Premier Ministre pour la musique, ce sont les 200 M€ de dotation exceptionnelle pour le CNM. Ce que nous demandons à l’établissement, où nous sommes extraordinairement sous-représentés, c’est qu’il emploie ces sommes à la relance de l’activité de l’ensemble du secteur. Et pour ce qui concerne spécifiquement la musique enregistrée, cette relance doit s’organiser sans chapelle et en respectant la contribution de chacun des acteurs pour que tout le monde s’y retrouve. La réussite de l’établissement en dépend. A cet égard, les discussions en cours sur les sommes – malheureusement insuffisantes – débloquées cet été pour aider à la reprise de la production constituent un tour de chauffe intéressant. Les intérêts particuliers ne doivent pas primer sur l’intérêt commun de la filière qui est de repartir de l’avant. Notre politesse ne doit pas être interprétée comme un consentement.