Captation des concerts : un accord possible entre labels et producteurs live pour un partage de la valeur ?

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L’année 2025 pourrait-t-elle celle d’avancées déterminantes en vue de la signature d’un accord historique entre les producteurs live et les producteurs de musique enregistrée pour un partage de la valeur générée par la captation des concerts ? La ministre de la Culture Rachida Dati s’est récemment prononcée, avec prudence, pour une concertation. Un appel à négocier qui intervient néanmoins à un moment où les rapports entre dirigeants des labels et dirigeants des sociétés de production live n’ont jamais été aussi tendus, voire rompus, depuis les débats sur la “taxe streaming“ qui s’étaient clôturés par une scission de la filière musicale en 2023.

L’exposition de la musique dans les médias (TV, radio) est un des enjeux faisant consensus dans la filière musicale. En revanche, c’est aussi sur ce terrain que prend racine un des plus importants différends entre les producteurs de musique enregistrée et les producteurs live. Depuis de nombreuses années, les producteurs live réclament la création d’un droit voisin au titre de la captation des concerts. Dans le cadre de l’enregistrement du concert d’un artiste pour une diffusion à la télévision ou une mise en ligne sur une plateforme vidéo, le label qui a financé l’enregistrement des titres de l’artiste est seul à négocier et donc à être rémunéré. Et ce, quand bien même la captation est réalisée lors d’un concert entièrement financé par la société de production live, et non par le label. Les producteurs de musique enregistrée considèrent notamment qu’il n’y a pas de concert sans les albums et les titres produits, et que les concerts consistent d’abord en l’exécution publique d’enregistrements.

La création d’un droit voisin envisagée au moins depuis 2013

Or, les producteurs live estiment que dans la mesure où ils sont seuls investisseurs du concert, ils devraient à tout le moins pouvoir autoriser ou interdire la captation. Et donc percevoir une rémunération en contrepartie de la captation et la diffusion. En 2013, le rapport Lescure faisant suite à une mission confiée par la ministre de la Culture de l’époque (Aurélie Filippetti), durant le mandat de François Hollande, avait proposé la création d’un droit “sui generis“ pour les producteurs live.

En l’occurence, il s’agirait d’un droit voisin qui leur permettrait d’autoriser ou d’interdire la captation d’un concert. Une condition avait toutefois été posée: “que la gestion des droits et des autorisations ne soit pas complexifiée au point de décourager les captations ou d’entraver leur diffusion“. La mesure émanait d’une demande portée chacune de leur côté par deux syndicats de producteurs live, Ekhoscènes (ex- Prodiss), et La scène indépendante (ex- SNES).

Cette demande avait régulièrement été réitérée par les représentants des producteurs live, en particulier en période d’élections. Mais elle n’avait jamais être reprise par les parlementaires ou par les gouvernements successifs, autant durant le mandat de François Hollande que depuis l’élection d’Emmanuel Macron. ​Elle était ensuite passée au second plan des revendications lors de la préfiguration et la création du Centre national de la musique en 2019/2020, période durant laquelle “la filière musicale“ est apparue plus soudée que jamais, en apparence… Jusqu’à la demande en juin 2022 des producteurs live et des producteurs indépendants (au sein de l’UPFI et de la SPPF) pour la création d’une “taxe streaming“ afin que les plateformes (Spotify, Deezer, Apple Music, YouTube…) contribuent au financement de l’établissement, en raison des revenus conséquents perçus depuis le retour de la croissance du marché de la musique enregistrée.

Les dirigeants des majors et des plateformes et leurs représentants d’un côté, et ceux des producteurs live et des labels indépendants précités de l’autre, se sont alors livrés à une véritable guerre au niveau politique entre l’été 2022 et la fin 2023. Faute d’accord, le gouvernement (Rima Abdul Malak était la ministre de la Culture à l’époque) avait finalement tranché et choisi de valider la création de la “taxe streaming“, entrée en vigueur en janvier 2024. Ce qui avait acté la scission de la filière musicale.

Un droit qui contribuerait à consolider la reconnaissance des producteurs live

A présent qu’ils ont obtenu gain de cause sur la taxe streaming, les producteurs live reviennent (discrètement) à la charge pour la création d’un droit au titre de la captation audiovisuelle des concerts. De leur point de vue, la reconnaissance du métier de producteur live par les pouvoirs publics se doit d’être accompagnée de la création de ce nouveau droit. Qui plus est, dans un contexte où il ne s’est jamais vendu autant de billets pour les concerts et festivals, générateurs de taxes et impôts pour les finances publiques, et compte tenu de l’importante contribution à l’économie du secteur de la musique live, notamment pour les secteurs du tourisme (transports, hôtellerie, restauration…). Et la ministre de la Culture Rachida Dati semble particulièrement sensible à cette revendication, d’autant qu’elle a depuis longtemps annoncé son intention d’être candidate pour la Mairie de Paris en 2026.

Rachida Dati favorable à un partage au bénéfice des producteurs live ?

Lors d’une intervention au Printemps de Bourges devant les représentants de la filière et des professionnels, Rachida Dati s’est donc prononcée pour davantage de reconnaissance des producteurs live. “Vous connaissez ma volonté de mieux reconnaître les producteurs. Leur travail, trop souvent dans l’ombre, est indispensable. Je me réjouis du travail engagé par le ministère avec Ekhoscènes“ a déclaré la ministre de la Culture.

Toutefois, Rachida Dati ne s’est pas déclarée de manière explicite favorable à la création d’un droit voisin au profit des producteurs live. Mais une première étape en ce sens a vraisemblablement été franchie. “Nous devons désormais mettre l’ensemble de la filière autour de la table pour repenser la chaine de valeur lorsqu’il s’agit des captations audiovisuelles“ a insisté la ministre de la Culture. Au cours des dix dernières années, aucun ministre de la Culture n’a manifesté un tel intérêt pour que la captation des concerts profite également aux producteurs live.

Indéniablement, l’ouverture et l’avancée de négociations entre dirigeants des labels et producteurs live, ne pourrait qu’avoir pour objectif d’aboutir à un accord pour un partage de la valeur générée par la diffusion des concerts à la télévision et sur les plateformes. Reste à savoir si cet appel de la ministre sera entendu par les parties prenantes, à l’heure où la filière musicale reste plus divisée que jamais… Jusqu’à la traditionnelle réunion, pour converger à l’approche des élections dans l’optique de défendre les intérêts du secteur de la musique, et de tenter de susciter l’intérêt des candidats les mieux placés et des partis politiques.

Jason Moreau, Executive Editor, MUSICBIZ

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