Fractures dans la filière musicale autour du financement du CNM et de la taxe streaming

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Les désaccords sur le financement du Centre national de la musique ravivent et exacerbent les clivages dans la filière et l’industrie. Retour vers une ère censée être révolue. Avec dans tous les scénarios, sauf accord, la certitude que la filière musicale française n’en sortira pas plus forte. Et l’évidence que la défense des intérêts de l’industrie de la musique auprès des pouvoirs publics sera encore plus délicate et entravée.

Déjeuner réunissant 100 personnalités de la filière musicale organisé par le Prodiss (27 juin 2022)

L’unité de la filière musicale n’est plus. Après l’élection présidentielle, les dissonances et tensions ont succédé aux slogans et demandes. Le débat le plus important de l’année dans la musique entre décideurs n’a finalement pas eu lieu. Ce devait être l’une ultime prise de parole des organisations au premier plan avant les tractations.
D’un côté les Présidents de l’UPFI, premier syndicat des labels indépendants (affilié à la SPPF), le Prodiss, syndicat des producteurs de live, et le SMA, autre syndicat des labels indépendants. En face, le Président du Snep, syndicat des majors Universal, Warner, et Sony et d’une centaine de labels indépendants (affilié à la SCPP), le directeur général de l’Adami, organisme en charge des droits des artistes, et le vice-président de l’ESML, fédérant les plateformes de streaming. Au milieu, le Président du Centre national de la musique.

Mais la conférence sur le financement du Centre national de la musique (ou plus exactement de ses missions), prévue le dernier jour du MaMA, a été annulée moins de deux heures avant. “Le MaMA s’est vu contraint d’annuler le débat, suite aux désistements (Prodiss, UPFI, SMA) ne permettant plus d’assurer une expression plurielle. Malgré l’annonce de l’annulation, les intervenants présents (Adami, ESML, Snep, Snes) avaient investi la salle et, contre l’avis du MaMA, ont entamé des discussions afin d’exposer leurs points de vue.” ont déclaré les organisateurs du salon professionnel. “J’avais prévu un débat équilibré, informatif, qui permettrait à chacun de donner son avis sur les missions du CNM après le cadre budgétaire. C’est une occasion perdue” regrette Eric Baptiste, modérateur de la conférence.

Arbitrage du Gouvernement en absence d’accord au 30 septembre

L’UPFI, le Prodiss et le SMA ont justifié leur refus de participer au débat par “l’absence d’un arbitrage” par le Gouvernement pour instaurer une contribution des plateformes de streaming au financement du Centre national de la musique. Les trois organisations avaient évoqué la création d’une taxe sur le streaming dès le 27 juin 2022, lors d’un déjeuner en présence de décideurs, représentants des institutions, et de parlementaires.

La “taxe streaming” est la principale préconisation du rapport Bargeton, remis à la ministre de la Culture et la Première Ministre au printemps. Le Président de la République s’y est déclaré favorable, le jour de la Fête de la musique 2023 à l’Élysée: “J’ai demandé à la ministre Rima Abdul Malak de finaliser, d’ici fin septembre, un accord pour que toutes les plateformes nous aident à financer la création et les artistes. Il faut qu’on ait un accord avec ces plateformes. Sinon, on prendra nos responsabilités pour les mettre à contribution”

Cette déclaration, assortie d’un ultimatum, avait nourri l’enthousiasme des partisans de la taxe streaming, considérant à plus ou moins juste titre que l’absence d’accord au 30 septembre enclencherait son instauration dans le cadre du PLF 2024. C’était sans prendre en compte l’adage “et en même temps”.

Contribution obligatoire ou volontaire

Début octobre, des échanges entre la ministre et les principales organisations ont confirmé la multiplicité des options envisagées. Une contribution volontaire des plateformes de streaming, dont Spotify et Deezer, émerge en outre d’une contribution obligatoire de toutes les plateformes de streaming (1,75%). A l’instar des organismes de gestion collective (Sacem, SCPP, Adami, SPPF, Spedidam), qui financent le CNM à hauteur d’environ 3 millions d’euros. Des négociations sont en cours avec plusieurs plateformes de streaming et les organismes de gestion collective.

Le consensus est une issue plébiscitée par une alliance inédite entre producteurs du Snep, producteurs de spectacles de “La Scène indépendante” (ex- Snes), artistes de l’Adami, et syndicats d’artistes (CGT, CFDT, FO, CFE-CGC). “Un accord fondateur sur le financement du CNM est encore possible, avec la volonté des partenaires, l’appui des pouvoirs publics et le temps nécessaire à l’émergence de compromis” assuraient ces organisations à la veille de l’échéance fixée par Emmanuel Macron, dans une tribune publiée sur le site du Snep (29 septembre).

Actuellement, les désaccords sont cristallisés autour des organisations favorables à un accord pour une contribution volontaire et de celles souhaitant une taxe obligatoire sur le streaming. D’où la décision des partisans de la taxe streaming, n’ayant pas intérêt à une absence d’arbitrage par le Gouvernement, de ne pas participer au débat prévu dans le cadre du MaMA.“Maintenir cette discussion n’a aucun sens” ont critiqué l’UPFI, le Prodiss et le SMA dans un communiqué, considérant « l’attentisme » comme “le pire scénario possible, qui affectera durablement la production locale, sa capacité à s’exporter, à faire vivre la diversité et l’émergence, et notre souveraineté culturelle.”

Convergence d’intérêts, victoire commune

Le Snep (producteurs), l’Adami (artistes), et l’ESML (plateformes) revendiquent prioriser la convergence des intérêts et la victoire commune de la filière musicale, dans la mise en place de “nouvelles” sources de financements pour le CNM. Leur volonté de s’exprimer malgré l’absence de leurs pairs était, selon eux, motivée par une intention et la nécessité de dialoguer plus que de débattre et être dans la confrontation. “Un débat ou un dialogue, entre personnes qui font des métiers différents, c’est aussi avoir des points de vue qui peuvent être différents. On est tous pour l’ensemble des protagonistes, les plus fragiles, les grandes entreprises, les producteurs, les artistes” a déclaré Bertrand Burgalat, Président du Snep, soulignant la prééminence de “l’intérêt général” et du “bien commun”.

Du point de vue du directeur général de l’Adami Bruno Boutleux: “une première bataille a été remportée malgré nos divergences : celle d’un financement complémentaire, a minima pérenne sur quelques années, pour cette maison commune”. Pour le vice-président de l’ESML Antoine Monin, “la bonne nouvelle est que les nouveaux financements pour le CNM sont acquis”. A voir si les différends et positions entre les acteurs de l’industrie de la musique sont à présent conciliables, ou irréconciliables.

Jason Moreau

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