Le bundle CD/vinyle + place de concert, nouvelle stratégie des labels pour booster les ventes d’albums en première semaine

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La croissance du streaming au fil des années en France s’est accompagnée d’une baisse continue du CD, dans le chiffre d’affaires global du marché comme dans le détail des ventes des artistes. Les ventes de CD et vinyles rapportent cependant largement davantage aux labels et aux artistes. La concurrence est toujours plus importante entre les artistes, la saturation du marché s’accentue sur les plateformes, et le streaming ne génère pas suffisamment de revenus. Pour créer de la valeur et se démarquer, les labels et les artistes sont en quête de nouvelles stratégies pour vendre davantage d’albums, notamment en première semaine. Il s’agit de cibler et de mobiliser les “superfans“, entre autres, pour optimiser le nombre de ventes et les revenus dès le début de l’exploitation d’un nouvel album. ​L’artiste Mylène Farmer (également productrice depuis 1999) avait été parmi les premiers artistes en France – si ce n’est la première – à innover en matière de stratégie marketing orientée vers les “superfans“. ​Ces dernières années, plusieurs opérations ont été mises en oeuvre par les labels accompagnant des artistes majeurs tels qu’Orelsan, avec 15 versions différentes en CD de l’album ‘Civilisations’ (3ème bureau / Wagram) en 2021, ou encore Vald l’année suivante, avec 4 versions distinctes de l’album ‘V’ (Echelon records / Sony Music France) comportant chacune 2 titres inédits différents. ​Depuis quelques mois, une nouvelle offre est déployée sur le marché français par les labels pour le lancement de certaines sorties importantes de leurs têtes d’affiche: le pack “CD/vinyle + place de concert“.

Les ventes au format physique ont chuté durant une dizaine d’années en France, avant de se stabiliser en 2023, et de repartir à la hausse pour la première fois l’année suivante. Le CD et le vinyle ont généré 189 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2024, d’après les données du Snep, fédération représentant les trois majors entre autres labels, qui réalise le bilan annuel du marché français de la musique enregistrée.

Le vinyle, en hausse constante malgré une croissance plus modeste depuis deux ans (98 M€ en 2024) a d’ailleurs surpassé le CD en termes de revenus (91 M€), une première. Le CD reste toutefois premier en termes de volumes de ventes avec 10 millions d’albums vendus en 2024, contre 6 millions de vinyles. Ces indicateurs confirment l’appétence pour “le disque“ et le 33 tours, qui ont désormais un rôle différent – plus symbolique et affectif que pratique – dans l’expérience des fans et consommateurs. Le physique est donc loin d’être obsolète. Et puisqu’il reste un public non des moindres pour acheter des CD et vinyles, avec un consentement à payer important, c’est aussi pour répondre à cette demande que certains labels mettent en place le bundle “CD/vinyle + place de concert“.

​En parallèle, le streaming, bien qu’étant le moteur de la croissance du marché de la musique enregistrée en France depuis 2017, génère moins de revenus qu’escompté par les labels et les artistes. Plusieurs raisons l’expliquent, notamment la lente progression des souscriptions aux offres premium, le modèle de rémunération (market centric) sur la quasi-totalité des plateformes (hors Deezer), ou encore les conditions des contrats entre labels et artistes. En conséquence, les critiques à l’égard des plateformes sont de plus en plus courantes de la part des artistes. Aux US, Snoop Dogg a récemment critiqué le niveau de rémunération de Spotify.

Au-delà de l’intérêt financier, le pack “CD/vinyle + place de concert“ a également un intérêt ​pour les artistes au niveau de la communication. Réaliser la meilleure “première semaine“ possible en termes de ventes et de streams est l’objectif de la quasi totalité des artistes, et de tous les labels. D’autant que les ventes en première semaine et même en mid-week (3 jours) sont particulièrement scrutées par le public en plus des professionnels et des autres artistes. Les performances des artistes dans les charts sont à présent pleinement intégrées dans les stratégies de promotion et marketing.

95 000 CD vendus par Jul en trois jours

Plusieurs labels français misent sur le CD et le vinyle pour booster leurs ventes en première semaine, et être moins dépendant du streaming, en particulier pour les artistes rap. Dernier exemple en date, Believe et Jul (qui est son propre producteur) ont mis en vente des pack “CD + place de concert“, lors du lancement des précommandes de son nouvel album ‘D&P à vie’ sorti le 25 avril. À cette occasion, un deuxième concert à l’Orange Vélodrome (60 000 places) à Marseille a été annoncé en même temps que le nouvel album.

L’opération a indéniablement eu les effets escomptés. Le nouvel album de Jul a démarré avec 103 000 ventes en mid-week (25-27 avril), dont 95 000 ventes en physique. L’artiste l’a lui-même annoncé sur Instagram. Il dépassera donc les 100 000 ventes en physique en première semaine (25 avril – 1er mai). Jul a la particularité de vendre habituellement un nombre d’albums conséquent en physique, par rapport aux autres artistes rap. 27 000 CD de son album précédent sorti en décembre 2024 (‘Décennie’) avaient été vendus, sur un total de 44 000 ventes en première semaine. Et ce, sans la stratégie du bundle.

Pour cause, Jul bénéficie d’une fanbase très engagée mais également d’une stratégie calibrée pour optimiser les ventes de ses albums en CD et vinyles durant les premières semaines, avec notamment l’ouverture d’un pop-up store éphémère dans sa ville, Marseille. La semaine de la sortie de son nouvel album, et de son concert au Stade de France au cours duquel il a établi un record de fréquentation, une boutique éphémère a été ouverte à Paris dans le quartier ultra fréquenté d’Haussmann-Opéra. Mais jamais l’artiste n’avait atteint un tel nombre de ventes en physique en dix ans de carrière.

SCH, Gazo, Ninho & Niska…

Cette stratégie du bundle CD/vinyle + place de concert“ a récemment été mise en place par d’autres labels et artistes au cours des derniers mois. En novembre 2024, pour l’album commun de Ninho et Niska (‘GOAT’) leurs labels respectifs Rec 118 (Warner Music France) et Capitol (Universal Music France) ont commercialisé un pack CD/vinyle + place de concert à l’Adidas Arena (8 000 places). Ils ont vendu 34 000 albums en première semaine, dont 10 000 en physique, et ont décroché la première place du top albums. ​

À la même période, pour la sortie du nouvel album de l’artiste et producteur SCH (‘Jvlivs III: Ad Finem’), son label Maison Baron Rouge (en deal avec Warner Music France) a également mis en vente un pack CD/vinyle + place de concert au Théâtre du Châtelet (2 000 places). Deux concerts ont été donnés le même jour. Et trois versions différentes de l’album ont été commercialisées ainsi qu’une version collector avec 3 CD/vinyles. Avec cet album SCH a réalisé le meilleur démarrage de l’année 2024 parmi les artistes rap avec 48 000 ventes, dont 25 000 en physique. Cet album de l’artiste a enregistré 6 000 ventes de plus en première semaine, que le précédent (‘Jvlivs prequel : Giulio’) sorti six mois avant et qui s’était tout de même vendu à 22 000 exemplaires en physique.

Autre exemple fin 2024, pour le lancement du nouvel album de Gazo (‘Apocalypse’), les labels BSB et Epic records France (Sony Music France) ont mis en vente un “pack premium“ avec un CD + un billet pour un showcase dans sept villes dont Paris, Lille, et Bordeaux. L’artiste s’est classé premier du top albums avec 40 000 ventes dont 17 000 en physique. Soit 13 000 ventes de plus que pour son projet précédent (‘KMT’) sorti en 2022, et pour lequel 4 000 albums en physique avaient été vendus.

Une pratique encadrée

Aucune annonce publique n’a encore été faite par le Snep, qui détient l’exclusivité de la publication du top albums et du top streaming en France, dans le cadre d’un mandat confié par la SCPP, organisme de gestion des droits des producteurs comptant parmi ses membres les trois majors, Universal Music France, Warner Music France et Sony Music France, ainsi que 3 000 labels indépendants.

D’après les informations obtenues par MUSICBIZ, plusieurs règles ont été définies par le Conseil d’Administration du Snep pour encadrer les opérations de bundle “CD/vinyle + place de concert“, et ainsi comptabiliser les ventes de ce format. Les données de vente sur les plateformes de billetterie doivent impérativement être transmises de manière informatisée et automatique, donc sans manipulation. Le prix de l’album doit être affiché distinctement de la place de concert. ​Le bundle exclusif ne peut être commercialisé que durant 72 heures. Enfin, chaque commande est limitée à un maximum de 5 albums.

A l’évidence, la stratégie de bundle CD/vinyle est amenée à devenir de plus en plus courante. Pas seulement parce qu’elle a pour effet de booster les ventes d’albums en première semaine, mais également parce que les autres partenaires des artistes et des labels y ont un intérêt. Les salles de concert et les plateformes de billetterie y voient une occasion de capter et de fidéliser les publics, dans un contexte de concurrence toujours plus importante, et de demande en constante croissance. Néanmoins, en particulier pour les artistes rap, cette pratique contribue de manière inéluctable à la perte en valeur et en prestige du nombre de ventes en première semaine, en tant que performance dans les charts. Surtout quand les ventes sont en chute libre en deuxième semaine.

Jason Moreau, Executive Editor, MUSICBIZ

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