Le deal le plus important de l’année 2025 dans le music business pourrait finalement ne pas être conclu. Universal Music avait annoncé fin décembre 2024 son intention de racheter Downtown Music, un des indépendants majeurs fournissant des services aux artistes, labels et éditeurs, pour 737 millions d’euros. Mais désormais, l’opération prévue pour être finalisée au second semestre 2025 fait à présent l’objet d’une enquête de la Commission Européenne, qui pourrait l’autoriser ou la rejeter.

La fusion Downtown x UMG, qu’elle soit ou pas finalisée, est d’ores-et-déjà un des sujets sensibles aux niveaux européen et international dans le music business. De prime abord en raison du contexte de relations tendues entre les États d’Unis et l’Union Européenne au niveau politique et économique, sur fond de guerre commerciale. De surcroît, l’administration Trump a par la voix de J.D. Vance à Paris émis de vives critiques quant à l’arsenal réglementaire européen impactant les entreprises américaines, faisant notamment référence aux règlements Digital Market Act et Digital Services Act.
En mars 2024, Apple Music a été sanctionné d’une amende d’1.8 milliard d’euros par la Commission Européenne, pour pratiques anti-concurrentielles sur le marché du streaming de la musique, suite à une plainte de Spotify.
Universal Music, entreprise basée à Santa Monica malgré un siège administratif aux Pays-Bas, compte parmi ses principaux actionnaires le groupe américain Pershing Square. Son CEO, Bill Ackman, souhaiterait d’ailleurs que le leader mondial sur le marché de la musique enregistrée quitte la bourse d’Amsterdam pour les États-Unis. Downtown est une entreprise américaine située à New York, avec des bureaux dans une quinzaine de pays dont en France, en Italie, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni.
À l’évidence, une réprobation de la Commission Européenne contribuerait à renforcer l’hostilité et la contre-offensive des États-Unis à l’égard de l’Europe, sur le plan économique comme réglementaire.
Dans le music business plus spécifiquement, la fusion entre Downtown et Virgin Music, filiale d’UMG dédiée aux services aux labels et artistes, pose la question des conséquences éventuelles en matière de concurrence sur le marché de la musique enregistrée. Selon Universal Music, “une fois complétée, cette transaction rendra effective l’union de deux entreprises leaders dans les services et la technologie, et améliorera leurs offres et capacités pour répondre aux besoins des indépendants”. “Cette fusion nous permet de poursuivre le développement de Downtown et de fournir aux indépendants une infrastructure globale innovante à la fois en termes de services et de couverture internationale” considère JT Myers, Co-CEO de Virgin Music Group.
Les labels indépendants redoutent un effet de concentration
Néanmoins, des répercussions particulièrement néfastes sont redoutées par les représentants des labels et artistes indépendants, qui avaient fait part de leurs préoccupations dès l’annonce de l’accord. En particulier parce que Downtown compte en son sein les distributeurs CD Baby et Fuga, partenaires de plusieurs milliers de labels et artistes. Les labels indépendants ont récemment déclaré d’une voix commune qu’Universal Music pourrait “accroître sa mainmise sur le marché de la musique” s’il lui était autorisé de racheter les sociétés et services concernés.
Impala, organisation fédérant 6 000 entreprises indépendantes en Europe, craint clairement un effet de concentration “réduisant l’accès au marché pour les indépendants”. D’autant qu’Universal Music a récemment racheté PIAS, autre acteur indépendant majeur. “L’utilisation cynique de la marque Virgin, qui incarnait auparavant l’entrepreneuriat indépendant, ne doit pas faire perdre de vue qu’il s’agit là de domination et de contrôle absolus” fustige Martin Mills, fondateur et Chairman de Beggars Group.
Les labels indépendants avaient appelé de leurs voeux à ce que la Commission Européenne soit saisie du dossier, avec pour objectif qu’elle s’oppose au rachat de Downtown par UMG. “C’est l’occasion pour la nouvelle Commission d’établir un agenda clair en matière de concentration sur le marché de la musique enregistrée. En plus de renforcer UMG en termes de parts de marché, cette acquisition élimine un autre distributeur concurrent majeur et plus important que PIAS, et doit donc être interrompue” assure Francesca Trainini, Présidente d’Impala et Vice-Présidente de PMI, fédération des labels indépendants en Italie.
Les Pays-Bas et l’Autriche à l’avant-garde
Fin février, Universal Music et Downtown ont informé la Authority for Consumers and Markets, homologue aux Pays-Bas de l’Autorité de la concurrence en France, ainsi que la Federal Competition Authority en Autriche de leur intention de conclure un accord. Les représentants des labels indépendants ont de leur côté fait part aux deux autorités de leurs inquiétudes et interrogations. L’organisation Impala a vivement dénoncé ce qu’elle qualifie être une “stratégie envahissante d’acquisitions rapides dans le monde entier”.
Dans la foulée, la Authority for Consumers and Markets (Pays-Bas), ainsi que la Federal Competition Authority (Autriche) ont saisi la Commission Européenne pour une enquête. L’Autorité hollandaise des marchés a effectivement fait part de ses préoccupations quant aux conséquences néfastes du rachat de Downtown par Universal Music, aux Pays-Bas et dans d’autres pays européens. “Il est important que les effets de cette acquisition soient examinés” souligne Martijn Snoep, Président de l’ACM.
La Commission Européenne a confirmé le 25 avril l’ouverture d’une enquête relative au rachat de Downtown par Universal Music. Elle a d’emblée fait savoir que l’opération “menace d’impacter considérablement la concurrence dans des marchés où les deux entreprises ont des activités, aux Pays-Bas et en Autriche, de même que dans d’autres pays”.
Universal Music a été enjoint par la Commission Européenne de lui adresser une notification relative à la transaction, dans l’optique d’une éventuelle autorisation. Dans ce cadre, le rachat de Downtown est à présent conditionné à l’approbation de la Commission Européenne. En parallèle, les labels indépendants au Royaume-Uni comptent sur une saisine de la Competition and Markets Authority.