25 ans après la révolution numérique qui avait déclenché la crise du disque, la musique fait partie des premiers secteurs confrontés aux bouleversements de l’intelligence artificielle. L’émergence et le développement ultra-rapide de plateformes et outils permettant de générer musiques, lyrics, images, sont sources d’opportunités mais également de menaces et de risques. Pour protéger leurs droits et préserver leurs intérêts, les représentants des créateurs et ayants droit réclament l’instauration d’un cadre réglementaire stricte et adapté au niveau européen. L’adoption du texte “Artificial Intelligence ACT” est une première réponse apportée par l’Union Européenne. La politique de l’UE est d’ores-et-déjà considérée comme une entrave par les États-Unis, les entreprises américaines étant déjà leaders dans le domaine. Pour sa première prise de parole en Europe, le Vice-President JD Vance a effrontément fustigé une stratégie de régulation qu’il considère comme excessive et même dangereuse.

La contre-offensive des US vis-à-vis de la politique européenne en matière de régulation de l’intelligence artificielle a véritablement démarré, moins d’un mois après le retour de Donald Trump au pouvoir. La tenue du “AI Action Summit” les 10 et 11 février à Paris marque une intensification des débats sur un sujet indissociable de l’avenir de l’économie et bien sûr du music business. Le challenge d’Emmanuel Macron de placer la France et l’Europe au carrefour des discussions et de l’actualité dans ce domaine est plus ou moins réussi. 109 milliards d’euros seront investis en France dans les prochaines années, tandis qu’un plan européen de 200 milliards d’euros a été annoncée par la Présidente de la Commission Européenne. Mais en même temps, l’évènement a été la confirmation du retard sur ce terrain par rapport aux américains et aux asiatiques, malgré le développement non des moindres de Mistral AI, et surtout les difficultés flagrantes des européens à défendre leurs intérêts.
La Culture reléguée au “AI Action Summit”
Concernant les secteurs de la Culture, le “week end culturel” organisé en prologue du sommet pour satisfaire les demandes des acteurs d’être considérés n’a pas été l’occasion d’annonces et d’avancées significatives pour la protection des droits des auteurs, compositeurs, artistes et musiciens. Emmanuel Macron n’était pas présent. Le Président de la République s’est toutefois exprimé dans une interview pour France 2 à la veille de l’ouverture du “AI Action Summit”: “C’est une chance, cela vous permet de faire des tas de choses plus vite, plus intelligemment. Simplement, il faut en connaitre le statut. Les artistes ont raison d’être inquiets, mais ils l’utilisent déjà. Jean-Michel Jarre, qui est un pionnier de l’electro, utilise de l’IA. Il y avait de la spoliation avant l’IA. La France a beaucoup contribué à consolider le droit d’auteur. Il y a cinq ans, on n’avait pas besoin de l’IA, avec les réseaux sociaux on était menacé du pire. La France s’est battue, et on a imposé au niveau européen le modèle français. On protège le droit d’auteur et le droit voisin. Ce qu’il faut faire maintenant avec l’IA, c’est exactement la même chose: de dire quand ça en est, et quand ça ne l’est pas. La régulation de l’IA doit se faire à un niveau mondial, et pas seulement à un endroit”.
Le moins que l’on puisse dire est qu’Emmanuel Macron a été au mieux dans l’imprécision sur le sujet, au pire dans la maladresse. Dans une vidéo publié sur ses comptes X et Instagram, le visage et la voix de l’artiste belge Angèle dans la vidéo “Ta reine“ (Colors) sont remplacées par ceux du Président. Emmanuel Macron n’a cependant rien déclaré concernant les menaces et risques pour les créateurs que font planer les plateformes permettant de générer de la musique, des lyrics, des images. La Culture, dans un entre-soi habituel lors du “week end culturel”, s’est ainsi retrouvée reléguée au “AI Action Summit”. Comme lors d’autres grands rendez-vous où se réunissent les grandes puissances économiques. Comme à chaque campagne pour les élections présidentielle, législatives, européennes.
Un cadre réglementaire européen jugé excessif
Au-delà des acteurs de la Culture, ce sont les acteurs politiques européens dans leur globalité qui sortent fragilisés du “AI Action Summit”. Il n’aura fallu que de 15 minutes, la durée du discours de JD Vance devant Emmanuel Macron et Ursula Von Der Leyen la Présidente de la Commission Européenne. Le Vice-President des États-Unis a assuré une véritable démonstration de force et de leadership, et confirmé le changement de ton à l’égard de l’Union Européenne et des pays membres. “Je ne suis pas ici pour parler sécurité à l’égard de l’intelligence artificielle, mais d’opportunités. Nous pensons au sein de l’Administration Trump que l’IA aura d’innombrables opportunités. Et restreindre son développement maintenant paralyserait une des principales révolutions que nous avons vues depuis des générations” a déclaré JD Vance.
Les États-Unis considèrent que la politique de l’Union Européenne en matière de régulation de l’intelligence artificielle est une entrave à la croissance du secteur, et donc aux bénéfices potentiels pour l’ensemble des entreprises et des consommateurs. Pour cause, leur ambition première est de s’assurer d’être leaders dans le domaine et de le rester. En conséquence, le Vice-President des US a affirmé que “la régulation excessive de l’AI peut tuer une industrie en pleine transformation au moment où elle démarre”. Une réponse directe et cinglante au cadre réglementaire dont se dote l’Union Européenne, avec l’entrée en vigueur début février des premières règles du texte “AI Act”. S’il n’a pas fait de déclaration à l’utilisation de l’intelligence artificielle dans les secteurs de la Culture et notamment la musique, JD Vance a tout de même réaffirmé un principe essentiel. “L’IA ne remplacera jamais l’humain”.
Hostilité contre le protectionnisme européen
En revanche, JD Vance a insisté sur la nécessité d’ “un cadre réglementaire à l’échelle internationale qui incite le développement de la AI tech au lieu de l’endiguer”. Mais surtout, le Vice-President des États-Unis a durci le ton en évoquant la stratégie de régulation ciblant les entreprises américaines, portées par les européens comme par d’autres. “L’administration Trump est préoccupée par le fait que certains gouvernements considèrent vouloir augmenter la pression sur les entreprises tech américaines à dimension internationale. L’Amérique ne peut pas et n’acceptera pas cela. Nous pensons que c’est une grave erreur, pas juste pour les USA mais pour vous-mêmes” a martelé JD Vance.
Dans la foulée, il a fait référence au “Digital Services Act” entré en vigueur en février 2024 pour renforcer l’équité entre les entreprises – et notamment entre plateformes américaines et européennes – et la protection des intérêts des consommateurs. C’est sur la base de ce texte qu’Apple avait été sanctionné d’une amende record d’1,8 milliard d’euros par l’Union Européenne pour pratique anticoncurrentielles sur le marché du streaming de la musique, notamment à l’égard de Spotify.
Du point de vue de l’Administration Trump, le cadre réglementaire européen ayant pour objectif légitime de protéger les consommateurs est également instrumentalisé pour pénaliser les entreprises américaines. Le Vice-President des US a évoqué les contraintes juridiques et coûts associés pour se conformer à la législation européenne, notamment le règlement RGPD, et avancé le risque que certaines plateformes ne soient plus disponibles sur le territoire européen pour éviter des sanctions.
En somme, les États-Unis réaffirment leur stricte opposition à toute politique de l’Union Européenne ayant pour effet de faire du protectionnisme.