Apple sanctionné par l’Union Européenne pour abus de position dominante sur le marché du streaming

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Le marché de la musique n’est pas exempt de régulation. Les pratiques d’Apple jugées anticoncurrentielles sur le marché du streaming musical étaient dans le viseur de la Commission Européenne qui, après l’ouverture d’une enquête en 2020, avait confirmé un abus de position dominante début 2023, ce qui préfigurait une sanction. La décision du 4 mars a d’autant plus d’impact qu’elle survient dans un contexte économique de guerre entre les plateformes sur le marché européen.

L’Union Européenne sanctionne Apple d’une amende d’1,8 milliard d’euros pour abus de position dominante sur le marché du streaming musical. Un montant colossal en guise de sanction financière adéquate au regard de la puissance d’Apple.

L’amende correspond à 0,5% du chiffre d’affaires annuel de la firme américaine (383 milliards de dollars en 2023). Elle aurait pu atteindre 10%.

Elle a été définie en tenant compte de la gravité et de la durée de “l’infraction”, ainsi que des revenus d’Apple et de sa capitalisation boursière.

La Commission Européenne justifie sa décision en pointant un certain nombre de pratiques anticoncurrentielles d’Apple à l’égard des applications de streaming de musique.

“Apple contrôle tous les aspects de l’expérience et définit les conditions auxquelles les développeurs doivent se conformer, pour être présents sur l’App Store et pouvoir atteindre les utilisateurs de l’espace européen”.

Information des utilisateurs et communication avec les clients

L’atteinte à la réglementation est principalement caractérisée par l’impossibilité pour les développeurs et éditeurs d’applications d’informer les utilisateurs et de communiquer avec leurs clients.

“Pendant une dizaine d’années, Apple a abusé de sa position dominante sur le marché de la distribution des applications de streaming musical via l’App Store. Ils l’ont fait en empêchant les développeurs d’informer les consommateurs quant aux offres alternatives en dehors de l’écosystème Apple. C’est illégal sous le cadre réglementaire européen de la concurrence” a déclaré Margrethe Vestager, Executive Vice-President de la Commission Européenne.

Apple étant fournisseur unique des applications sur iPhone et iPad, la firme peut effectivement imposer des conditions et restrictions. Notamment l’accès exclusif aux clients, l’accès aux données, le paiement via ApplePay.

Selon la Commission Européenne, “Apple a bloqué la possibilité pour les développeurs d’informer leurs utilisateurs à propos des offres moins chères disponibles en dehors de l’app, et de leur fournir les instructions pour y souscrire”.

Les informations impossibles à communiquer en question sont les prix des abonnements, les différences de prix, les liens externes vers des souscriptions alternatives.
“Les développeurs des applications n’avaient pas la possibilité de contacter leurs propres clients par mail pour les informer des alternatives de prix après création de leur compte” précise la Commission.

Les conditions imposées par Apple sont caractérisées comme étant injustes, contraires à l’interdiction des abus par les entreprises en position dominante (article 102 du Traité de fonctionnement de l’UE).

Il est considéré que ces mesures ne sont “ni nécessaires ni appropriées pour la protection des intérêts commerciaux d’Apple”, et qu’elles “impactent négativement les intérêts des utilisateurs”.

La Commission Européenne a conclu en évoquant une expérience dégradée pour les consommateurs, avec des prix plus élevés payés pour les abonnements en raison des commissions imposées, ou encore des abandons de souscriptions.

Guerre du streaming

La régulation du marché et des pratiques anticoncurrentielles a vocation à être consolidée au niveau européen par la nouvelle réglementation, à commencer par le Digital Services Act (DSA) et le Digital Markets Act (DMA) récemment entrés en vigueur.

Les plateformes européennes demandent davantage d’engagements et de responsabilité de la part des portails d’accès aux consommateurs (Apple, Google, Meta), appelés “gatekeepers”, pour garantir un marché équitable et accessible.

Elles ont vivement critiqué les nouvelles conditions d’Apple pour mettre en conformité l’app store avec le DMA, dans un courrier signé par 34 organisations et entreprises et envoyé le 1er mars à la Commission Européenne.

Le CEO de Deezer a réagi à la décision du 4 mars en déclarant que “c’est très positif que l’Union Européenne prenne des mesures fermes contre Apple, et montre sa volonté ferme de sanctionner les pratiques anticoncurrentielles”.

Jeronimo Folgueira a également précisé “espérer et attendre que la Commission Européenne évalue la récente mise à jour des conditions d’Apple pour l’App Store, et dise sans ambigüité que ce qui a été proposé ne suffit pas pour se conformer au Digital Markets Act”.

Les plateformes européennes rassemblées au sein de Digital Music Europe ont été très actives à Bruxelles depuis plusieurs années. En première ligne, Spotify avait déposé une plainte contre Apple dès 2019 pour les mêmes pratiques anticoncurrentielles entre autres.

Les pratiques dénoncées provoqueraient des distorsions de concurrence, favoriseraient de fait Apple Music, entraveraient le développement des plateformes étant essentiellement des services de streaming, et des startups.

Le contexte économique de cette sanction par la Commission Européenne n’est pas anodin. La guerre entre les plateformes de streaming est particulièrement intense sur le marché européen. Et elle se mène sur des terrains divers : marketing, technologie, économie, réglementation.

Les plateformes américaines, Apple Music, YouTube, Amazon Music, progressent en abonnés et bénéficient de marques très populaires, de l’appui de leur maison-mère, et d’un lobbying particulièrement puissant à Bruxelles. YouTube, TikTok, sont celles avec les volumes de streams et temps de consommation les plus importants, mais aussi les plateformes qui rémunèrent le moins bien les ayants droit de la musique.

Les plateformes européennes, Spotify et Deezer, s’efforcent de défendre leurs parts de marché et leurs positions pour continuer de croître.

Digital Music Europe, organisation créée il y a quelques années pour structurer et renforcer le lobbying des plateformes européennes à Bruxelles, sert les mêmes objectifs en opérant sur le terrain réglementaire, politique.

Cette sanction confirme que la réglementation s’avère aussi être une arme permettant la défense et la primauté des intérêts des acteurs européens de l’industrie de la musique. Comme sur d’autres marchés faisant du protectionnisme.

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