Le Président de la République s’exprime relativement peu sur l’économie de la musique. Sa dernière déclaration relative au music business remontait à la Fête de la musique 2024, pour annoncer une “Music week” en juin 2025. Emmanuel Macron vient cependant de faire une déclaration fracassante sur un sujet particulièrement clivant: la rémunération des artistes sur le streaming, au média américain Variety. Une position qui ne passera évidemment pas inaperçue auprès des dirigeants des entreprises et des professionnels de la musique en France et en Europe, en particulier les plateformes et les labels. Et qui relance de plus belle le débat du partage de la valeur sur le streaming au profit des artistes.

Emmanuel Macron marque de temps à autre l’actualité en s’exprimant sur le music business et en s’affichant avec des artistes. Le Président de la République a su se démarquer de ses prédécesseurs en entretenant une image d’homme d’État ancré dans la modernité et gravitant dans l’univers de l’entertainment, une stratégie directement inspirée de Barack Obama.
Ce n’est pas la première fois qu’Emmanuel Macron créé la surprise, en se déclarant investi pour une politique publique engagée pour la musique, et en se montrant proche d’un certain nombre de grands artistes. Il rencontre régulièrement des superstars de la musique : Beyoncé, Rihanna, Jay Z, Gims, Fally Ipupa. Lors de la Fête de la musique 2023, depuis l’Élysée, le Président avait légitimé la création d’une taxe sur les plateformes de streaming pour financer l’opération du secteur sous tutelle du ministère de la Culture, le Centre national de la musique. En juin 2024, Emmanuel Macron avait encore pris de court en annonçant la création d’une “Music Week” en 2025 pour amplifier la Fête de la musique et en faire un évènement plus international, avec un festival et un évènement business, sans que les acteurs du secteur de la musique en France n’en soient informés au préalable.
A deux ans et demi de la fin de son mandat, le Chef de l’État vient de confirmer son intention de laisser une empreinte indélébile par le biais de la musique et des industries culturelles. Emmanuel Macron s’est exprimé sur l’impact de l’intelligence artificielle ainsi que sur la rémunération des artistes sur le streaming, dans un entretien au média américain Variety.
“Le modèle des plateformes est biaisé”
“Aujourd’hui, les artistes ne reçoivent pas de juste rémunération de la part des services de streaming. Les plateformes ont décidé de très bien payer les artistes qui sont massivement écoutés. Mais elles paient beaucoup moins de nombreux artistes ayant des audiences plus modestes, alors qu’en même temps, un artiste très écouté par les jeunes sera à juste titre bien rémunéré. C’est ce choix économique qui définit la rémunération des créateurs. Je souhaiterais voir des artistes comme Étienne Daho ou Barbara Pravi gagner plus d’argent, que ce soit plus équitable avec une Taylor Swift. Le modèle des plateformes de streaming est actuellement biaisé” a déclaré Emmanuel Macron à la journaliste et rédactrice en chef pour l’international de Variety, Elsa Keslassy.
Le Président de la République fait effectivement référence au modèle de répartition des revenus opéré par les plateformes de streaming, actuellement sur une base “market centric”. Chaque artiste est rémunéré par chaque plateforme en proportion de la part de ses écoutes sur le nombre total de streams englobant tous les artistes. Les redevances reversées aux artistes sont ainsi calculées sur la base de leur part de marché par rapport à l’ensemble.
Un abonné en France qui écoute exclusivement Booba ne rémunère pas uniquement cet artiste, mais voit le montant de son abonnement additionné avec celui les autres abonnés, et Booba percevra l’équivalent de ce que représentent ses titres sur le total des streams de tous les abonnés en France. Ce qui signifie que si Gims est plus écouté que Booba par l’ensemble des abonnés, les fans de Booba contribuent en réalité plus à rémunérer Gims que Booba.
Un modèle artist-centric préféré au user centric
Dans l’optique de rendre le marché du streaming plus équitable, certains labels en particulier les indépendants plébiscitent la mise en place d’un modèle “user centric”. Les artistes seraient alors rémunérés à proportion de leur nombre de streams recensé sur chaque abonnement, et plus sur l’ensemble des abonnés.
Or, les plateformes de streaming, ainsi que les leaders du marché de la musique enregistrée à l’échelle internationale, Universal Music, Warner Music, et Sony Music, ne sont pas favorables à un tel modèle de rémunération. De surcroît, le modèle de rémunération est défini selon des accords au niveau international, de sorte à être uniforme sur tous les marchés. Il y a cependant un consensus des leaders de l’industrie sur la nécessité de repenser le modèle de répartition des revenus sur le streaming.
Pour autant, depuis octobre 2023, Deezer a entamé un changement de son modèle de répartition, en collaboration avec Universal Music, uniquement en France. Le modèle “artist centric” consiste en l’attribution d’un “double bonus pour les artistes avec un minimum de 1 000 streams par mois et 500 auditeurs uniques”, et pour les titres et artistes générant des écoutes actives et de l’engagement sur la plateforme.
Ce nouveau modèle a notamment pour objectif à terme d’augmenter le revenu moyen par abonné, et d’optimiser la monétisation auprès des superfans. D’après les données de Deezer, les artistes streamés par les nouveaux abonnés durant le premier mois peuvent représenter jusqu’à 30% de leurs écoutes sur une période de deux ans. Pour améliorer l’expérience des abonnés, la plateforme française avait supprimé plus de 26 millions de contenus frauduleux et parasites en début d’année 2024, et désactivé la monétisation de contenus hors de la musique tels que les musiques d’ambiance.
L’adoption d’un modèle « user centric” n’est cependant pas prévue. Pour le moment.